L’avortement est une question trop grave pour être abordée d’une manière périphérique. Mais comment ne pas commenter la frénésie quasi névrotique qui a accompagné son inscription comme droit désormais constitutionnel ? Les commentateurs se glorifient que notre pays soit donc en passe d’être le seul à avoir sacralisé ce droit désormais inaliénable. Bon. Mais qu’il soit permis de poser une question : quel est le but de la manœuvre ?
Aucune mise en garde
La loi Veil avait pour objectif de trouver une solution à une situation dramatique, celle des avortements clandestins et l’injustice qu’elle provoquait. Il était admis que le recours à une telle pratique était toujours considéré comme douloureux. D’où les nombreux garde-fous, consciencieusement supprimés depuis. Le nombre de ces actes augmente d’année en année, pour atteindre 243.300 en 2022, + 8% par rapport à 2021. Pas de prévention, ou à peine. Aucune parole de mise en garde à une époque où l’on a une peur bleue de se faire taxer de moralisateur. Sur ce point au moins, nous aurons un consensus trans-partisan : tous les partis se sont ralliés, terrifiés de sortir d’une norme qui ne supporte ni discussion ni débat.
En faisant d’une réponse à des situations dramatiques un article de la Constitution, on prend le risque de laisser croire qu’une loi n’a de valeur véritable que si elle s’inscrit dans ce marbre-là.
La seule question qui vaille la peine est donc pour le législateur, celle de l’accès partout sur le territoire, pour toutes les femmes, à cette possibilité. On serait heureux que l’État soit aussi attentif à lutter contre les déserts médicaux et contre la pauvreté et qu’il y mette autant d’énergie que sur ce point. S’agira-t-il alors d’obliger des médecins à pratiquer des avortements s’ils invoquent leur devoir de conscience ? On nous assure que non. Mais on voit mal comment on éviterait dorénavant le recours devant les tribunaux envers tout personnel médical qui manifesterait la moindre réticence.
L’incapacité à proposer d’autres perspectives
À l’ère du "en même temps", on aimerait qu’au minimum une politique ambitieuse soit mise en place pour accompagner les familles et encourager la natalité, devenue depuis peu "grande cause nationale" dans une ambiance de réarmement. Au lieu des clameurs de victoire pour un sujet aussi grave, on préférerait n’entendre qu’un silence. Auquel les croyants pourraient joindre une prière. Car l’avortement est pour une société toujours un échec : au-delà des misères et des drames personnels dont il est la conséquence, il souligne chaque fois un peu plus notre incapacité à proposer d’autres perspectives.
On pourra toujours objecter que c’est une chose bien difficile, et toujours hasardeuse, de donner des conseils sur la manière de vouloir ou de refuser des enfants lorsqu’on en n’accueille pas soi-même. En faisant d’une réponse à des situations dramatiques un article de la Constitution, on prend le risque de laisser croire qu’une loi n’a de valeur véritable que si elle s’inscrit dans ce marbre-là. Ce qui nous promet des débats intéressants pour l’avenir. On sacralise comme un acte remarquable ce qui était pensé au départ comme une nécessité dramatique : "Pour obéir à mes exigences, je suis avec ceux qui souffrent le plus, avec celles qui sont condamnées le plus, avec celles qui sont méprisées le plus [...]. À cause de cela, à cause de Lui, je prendrai ma part du fardeau. Je lutterai contre tout ce qui conduit à l’avortement, mais je voterai la loi" déclarait le député Eugène Claudius-Petit (UDR) à la tribune de l’Assemblée en 1974. Décidément les mœurs et la conscience politique ont bien changé...