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Le carême est-il un temps de guerre ou un temps de paix ?

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Dom Samuel Lauras - publié le 13/02/24
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Dom Samuel, abbé de Nový Dvůr en République tchèque, propose de faire du carême un temps de discernement et de paix que donne le Christ. Mais comment ?

La guerre est partout. Les fils d’Abraham s’affrontent et les souffrances s’accumulent en Terre sainte dans les deux camps. Le peuple slave qui a reçu la foi à Kiev s’entredéchire, et les souffrances s’accumulent dans les deux camps. Les disciples du Christ aussi se déchirent et l’incompréhension que suscitent des décisions récentes du Saint-Siège est à son paroxysme. Et ce ne sont des conflits qui nous touchent de près, sans oublier les autres, comme en Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud…

Une mise en garde contre l’hypocrisie

Le Christ n’a pas caché qu’il ne donne pas la paix comme le monde la donne. Aussi, en raccourci, peut-on dire que le carême chrétien sera toujours une guerre contre soi-même afin de faire la paix autour de soi, et que le critère de discernement sera toujours le vrai et le juste. Ce qui est vrai et juste dans les rapports entre les peuples, ce qui est vrai et juste dans la vie sociale et dans nos vies personnelles. Ce qui est vrai et juste, nous le découvrons en écoutant la Parole de Dieu, sans nous égarer dans les zones d’ombre qui entourent notre écoute de l’Évangile et que ce carême pourrait être l’occasion de les dévoiler. 

L’Évangile qui ouvre le carême (Mt 6, 1-2 ; 16-18) du mercredi des cendres révèle une grande cohérence : Quand tu fais l’aumône… quand tu pries… quand tu jeûnes. C’est aussi une mise en garde contre l’hypocrisie, mot qui signifie, étymologiquement, un défaut de discernement, la crise étant une situation dans lequel il convient de prendre des décisions. L’hypocrite est celui qui n’est pas à la hauteur dans ses discernements : il se donne l’apparence de la vertu mais juge en fait selon ce qui lui convient. L’évangéliste met notre pratique de l’aumône, de la prière et du jeûne en relation avec Dieu, notre Père, qui voit dans le secret. En plus des aumônes, de la prière et du jeûne qui nous sont recommandés explicitement, serions-nous également invités implicitement, pendant ce carême, à mettre en pratique la prière du Notre Père ? 

Aumône, prière et jeûne

L’aumône rectifie nos rapports mutuels. En faisant l’aumône, je m’intéresse aux besoins des autres. Je détends la crampe qui me crispe sur moi-même, sur ce qui me touche et me concerne. Dans le geste de l’aumône, l’autre devient plus important que soi. Inutile de sortir de chez soi ou du monastère pour pratiquer l’aumône : il suffit de regarder les besoins des autres autour de soi.

La prière enrichit nos rapports avec Dieu. La Parole de Dieu situe au centre le mystère de l’échange entre Dieu et moi. Puisque le Père sait ce dont nous avons besoin, inutile, précise Jésus, de rabâcher comme des païens qui demandent ce dont ils pensent avoir besoin. La prière la plus authentique ne demande rien, elle rend attentif et ajuste à ce que Dieu veut donner.

Le jeûne restaure l’unité de notre personne.

Le jeûne, enfin, restaure l’unité de notre personne. Par le jeûne, je mets un frein aux désirs qui me dispersent et me font perdre l’orientation de ma vie appelée à se tourner vers Dieu. Il ne s’agit pas de renoncer à quelques friandises superflues. Tout doit y passer ! je m’appuie ici sur le beau livre de Dom David d’Hamonville, moine d’En Calcat : Matthieu, la Parole pleine à craquer, Cerf 2023.

Pardonne-nous nos offenses

Rapports mutuels, rapport avec Dieu, rapport avec soi-même : l’Évangile est cohérent. Ce qui unit le tout, notre rapport avec Dieu, une attitude personnelle et nos rapports avec les autres, est dans une phrase du Notre Père : Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons, aussi, à ceux qui nous ont offensés. Nous nous trouvons là face à l’essentiel…

Nous sommes de bons chrétiens. Nous savons demander pardon, à Dieu dans le sacrement de réconciliation, et quelquefois aux proches quand nous avons exagéré, même si c’est difficile. En bon chrétien, nous sommes également prêts à pardonner à ceux qui nous demandent pardon et nous nous scandalisons un peu vite s’ils ne le font pas. Mais pardonner… Pardonner soixante-dix-sept-fois sept fois comme le demande Jésus à Pierre, sans condition ! C’est beaucoup. En bon chrétien encore une fois, nous nous dirons : "Allez, je le pardonne, ce bandit, mais Dieu le jugera. Il jugera avec justice ce sur quoi j’ai dû passer l’éponge !" Ce n’est pas encore pardonner… c’est déléguer à Dieu notre désir de vengeance. Cela reviendrait à murmurer le contraire de la vraie prière : "Père, ne leur pardonne rien, ils savent très bien ce qu’ils font !" Non, ce n’est pas ça, pardonner ! Faut-il alors tout laisser couler, laisser le mal se répandre ? Non ! En pardonnant, Jésus nous propose de retourner le monde avec les seules armes de l’Amour. Tant qu'il n'y a pas d'amour dans nos yeux, le regard que nous portons sur les autres ne peut leur être d'aucun secours.

Dans les temps de crise

Dieu se révèle au creux de l’épreuve et dans les temps de crise. La Bible ne nous prépare pas à des existences sans conflit : Caïn et Abel, la Tour de Babel, le Déluge, la déportation à Babylone… Jésus sur la croix, Pierre et Paul martyrs à Rome… Peut-on parler de Bonne Nouvelle ? Oui ! Après la faute, Adam et Eve rencontrent Dieu qui se promenait dans la brise du soir ; il les revêt de peaux. Après le Déluge, Noé offre à Dieu un sacrifice et reçoit en don l’arc-en-ciel. Après que Jacob a dérobé à Esaü sa bénédiction d’aîné, Dieu se manifeste, Jacob voit une échelle aussi haute que le ciel dont la tradition monastique fera le symbole de l’humilité. Et après s’être fâché avec son beau-père Laban, il se bat avec l’Ange dans un combat nocturne et Dieu lui donne un nom : "Israël", fort-contre-Dieu ! Marie-Madeleine a rencontré le Christ ressuscité et l’Église est toujours vivante…

Quarante jours dans l'espérance

Qu’est-ce qui émergera de nos attitudes chrétiennes en Israël et en Palestine, en Ukraine et en Russie, dans les modes de vie de notre société occidentale qu’on appelle pudiquement "les nouvelles options sociétales" ? Sans doute pas grand-chose de visible. Ou peut-être tout autre chose que les résultats attendus. Au lieu d’hypocrisie, engageons-nous dans "l’hypercrisie". Dans la foi : en croyant mieux et en voyant plus clair ; l’amour : en donnant plus et surtout en priant mieux ; dans l’espérance : en acceptant que nous sommes en croissance. Pour mieux discerner ce que le Christ attend de nous… Nous avons quarante jours pour le faire. Quarante jours seulement ? Si à la fin du carême nous n’y sommes pas encore tout à fait — ce qui est probable — n’oublions pas que le carême reviendra l’an prochain !

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