Il y a deux ou trois générations, célébrer l’anniversaire de la naissance d’un adulte n’était pas une coutume installée. On ne marquait pas ce jour, sauf évidemment s’il s’agissait d’un compte rond : cinquante ans, soixante ans. Et encore. Les enfants quant à eux soufflaient des bougies pour leur anniversaire, mais ce qui comptait le plus était la fête de leur saint patron.
C’était logique. Dans notre culture chrétienne, nous avons célébré la résurrection du Christ dès les premiers temps, bien avant de célébrer sa naissance, puisque la fête de Noël a été instituée seulement au IVe siècle. Sous l’empereur Septime Sévère, le père de l’Église Origène considérait que commémorer une naissance terrestre était une coutume païenne : pour les chrétiens, seule comptait la naissance au ciel. C’est pourquoi la date de naissance au ciel est retenue par l’Église pour fêter les saints. En France, autrefois, nous fêtions l’Assomption le 15 août et la saint Louis le 25, mais nous passions sous silence l’anniversaire du roi. Personne ne se souciait que Louis XIV fût né un 5 septembre : il était fêté le 25 août, comme les autres, à la date de l’entrée au ciel de son saint patron.
Le culte du moi
Les traditions ont évolué sous l’influence protestante, qui se méfiait des saints. On a vu au XVIIe siècle apparaître chez les réformés la célébration de l’anniversaire comme substitut à la célébration du saint patron. Cette évolution exprimait beaucoup de choses : la montée du culte du moi, qui incita par exemple Napoléon, fils des Lumières, à susciter un hommage le 15 août, qui n’était plus la fête de Marie, reine de France, mais l’anniversaire de Napoléon, empereur des Français. L’individu prenait le pouvoir, pour le meilleur et pour le pire.
Le refoulement de nos saints patrons se traduit par un terrible silence dans nos vies.
Mais cette évolution traduisait aussi une sourde sécularisation, qui se traduisait par le refoulement insensible de nos racines saintes. Je me souviens que les chaînes du service public, il y a encore trente ans, mentionnaient le saint du jour au moment du journal météo : nous célébrions par exemple sainte Brigitte. Au tournant des années quatre-vingt-dix, la sainte a disparu : nous célébrions "les" Brigitte. À présent, nous ne célébrons plus personne. Nous nous bornons à nourrir de notre culpabilité sans pardon le Minotaure du réchauffement climatique.
Le refoulement de nos saints patrons
Enfin, cette sécularisation exprimait la désagrégation de la famille. Jérôme Fourquet a montré que le prénom a connu une dilution. Au début du XXe siècle, l’usage français consacrait 2.000 prénoms, tous chrétiens. En 2020, c’étaient 13.000 prénoms qui étaient utilisés, le plus souvent sans référence chrétienne. Les prénoms arabo-musulmans représentaient 2% des prénoms en 1960 et 21% aujourd’hui. Les nouveaux prénoms ne se rattachent à aucun serviteur de Dieu dont on pourrait célébrer la fête. Les familles se résignent à ne célébrer que l’anniversaire, qui est devenu une version individualiste et narcissique de la fête chrétienne. L’anniversaire et son inévitable cadeau célèbrent finalement le culte de la famille nucléaire indéfiniment recomposée. Dieu sait pourtant à quel point nous avons besoin de l’intercession de nos saints.
Le refoulement de nos saints patrons se traduit par un terrible silence dans nos vies. Nous devons les faire revenir. Il ne s’agit pas de taire nos anniversaires, mais de les remettre à leur place. Ce qui compte, pour nous, est la fête de celui qui nous inspire. Célébrons avec faste nos saint patrons. Et si nous tenons vraiment à célébrer notre anniversaire, choisissons la date de notre baptême. Le roi saint Louis dont nous ignorons le jour précis de la naissance, savait qu’il avait été baptisé le 25 avril 1214 à Poissy. Il signait Louis de Poissy. Son existence avait réellement commencé quand il reçut le baptême dans le Christ.