Le gouvernement hongkongais a annoncé, mardi 30 janvier, son intention de mettre en place sa propre loi sur la sécurité nationale, invoquant des risques de "déstabilisation" du territoire. Celle-ci viendrait s'ajouter à la loi déjà en vigueur, imposée par Pékin depuis 2020. Or, c'est depuis l'application de cette législation que la liberté religieuse est en net recul sur ce territoire. C'est en tout cas ce qu'affirme un rapport publié le 30 janvier 2024 par le Comité pour la Liberté à Hong Kong et rédigé par Frances Hui, activiste réfugiée aux États-Unis.
Dans ce document d'une soixantaine de pages, cette organisation non gouvernementale dénonce un renforcement de la mainmise du Parti Communiste Chinois (PCC) à Hong Kong depuis 2020. Pour rappel, Hong Kong, ancienne colonie britannique, est administrée en vertu du principe de spécificité "un pays, deux systèmes". Celui-ci est censé permettre aux habitants de Hong Kong un plus haut degré d’autonomie pour 50 ans, notamment par une distinction des structures légale et judiciaire de celles de la Chine continentale. Mais après de massives manifestations prodémocratie en 2019, le gouvernement chinois avait adopté sa "loi sur la sécurité nationale" qui vise à interdire "la trahison, la sécession, la sédition et la subversion". C'est avec cet outil que le gouvernement chinois parvient à orchestrer, selon le rapport, une véritable restriction de la liberté religieuse. L'organisation ne mâche pas ses mots : le PCC cherche plus que jamais à poursuivre le processus de "sinisation des religions" et à entraver le développement de ces dernières, même si, précise le rapport, le niveau de persécutions ne peut être comparé à celui de la Chine continentale.
Surveillance de la jeunesse
La "sinisation" est un concept introduit en 2015 par Xi Jinping, à la tête du pays depuis 2013. Il s'agit, pour le PCC, de "guider l’adaptation des religions à la société socialiste", c'est-à-dire de pousser à l'alignement des religions sur la doctrine, l'idéologie et le discours communistes. Un objectif qui concerne surtout les religions "étrangères", rappelle le rapport, à savoir le christianisme ou l'islam. Le document mentionne ainsi un rapport sur le développement des religions à Hong Kong destiné au PCC, selon lequel ces croyants "ont tendance à se tourner vers les valeurs occidentales et les systèmes démocratiques". Il pointe du doigt les catholiques de Hong Kong comme étant "plus impliqués" dans la politique que les autres chrétiens. Les catholiques sont donc dans la ligne de mire du gouvernement. La restriction de la liberté religieuse se manifeste de diverses manières, rapporte encore le Comité, à commencer par "l'endoctrinement dans l'éducation".
À Hong Kong, environ 60% des écoles sont confessionnelles et gérées pour la plupart par les chrétiens. Les catholiques dirigent ainsi 249 écoles, de la maternelle au secondaire, détaille le rapport. Les enfants, même issus de familles non-croyantes, sont très souvent scolarisés dans des écoles confessionnelles. Mais une fois la loi de 2020 en vigueur, le diocèse de Hong Kong a publié une lettre aux directeurs et surveillants de toutes les écoles catholiques. Signée par Peter Lau Chiu Yin, alors délégué épiscopal à l'éducation, elle conseillait aux écoles de contrôler "le matériel, devoirs, épreuves d'examen et livres" pour empêcher que le campus soit politisé et éviter "la promotion unilatérale de messages, de positions ou d'opinions politiques". "Les nouvelles exigences ont mis le secteur éducatif sous forte pression, menaçant encore davantage l'autonomie des écoles confessionnelles pour enseigner les valeurs religieuses et pratiquer leur foi à l'intérieur et à l'extérieur des salles de classe", dénonce ainsi le rapport.
Censure, attaques directes
Le rapport constate par ailleurs que les prêtres ou pasteurs sont obligés d'adapter leurs sermons par peur d'être inquiétés par les autorités. Il dénonce, plus qu'une censure verticale, une auto-censure que s'imposent les différents représentants des religions, forcés de lisser leurs discours et prises de parole. Le 28 août 2020, deux mois après l’entrée en vigueur de la loi, le cardinal John Tong Hon, alors administrateur apostolique du diocèse de Hong Kong, a ainsi demandé au clergé d'éviter les sermons "trop politiques". Enfin, les religions affrontent des discriminations moins subversives à travers les arrestations et condamnations arbitraires pour de faux motifs politiques. C'est le cas de Jimmy Lai ou du cardinal Joseph Zen. Les prêtres catholiques craignent par ailleurs d'être obligés de s'inscrire auprès de l'Association patriotique et de prêter fidélité au gouvernement, rapporte l'ONG.
Des recommandations
Face au risque de musèlement des religions, l'organisation établit une liste de recommandations, dont certaines à l'endroit du Saint-Siège. Formulées sans équivoque, plusieurs d'entre elles exhortent le Vatican à mettre fin à l'accord avec Pékin pour la nomination des évêques. Renouvelé en 2022, son contenu exact demeure secret, mais il a permis à Pékin de choisir lui-même des évêques approuvés par le Saint-Siège au préalable. "Depuis la signature de l'accord, la situation de l'Église en Chine ne s'est pas améliorée", fustige le rapport pour lequel "la politique du Vatican visant à "maintenir le dialogue" avec la Chine semble être un compromis unilatéral de la part de l’Église catholique", là où "la Chine n’a montré aucune intention de communiquer". "Le Saint-Siège devrait repenser sa politique visant à protéger les valeurs de la foi catholique et de ses croyants en Chine", poursuit le document.
Enfin, les auteurs préconisent de réunir à nouveau la Commission du Vatican pour l’Église catholique en Chine. Créée par le pape Benoît XVI en 2007, celle-ci ne s'est jamais réunie sous le pape François. "Le Vatican pourrait être mieux informé par les membres de la commission, notamment le cardinal Zen et l'archevêque Savio Hon Tai Fai, qui ont tous deux une connaissance directe et des liens étendus avec l'Église en Chine", achèvent-ils.
Environ 400.000 baptisés
Sur 7.5 millions d’habitants, les catholiques représentent environ 5% de la population. En 2020, on dénombrait au moins 400.000 baptisés pour le diocèse de Hong Kong. Si l'ensemble des hong-kongais ne sont pas croyants, la société est très imprégnée de culture chrétienne et sensible au message et aux valeurs chrétiennes, expliquait ainsi à Aleteia un prêtre vivant à Hong Kong en 2020. Ce dernier s'inquiétait déjà, à l'époque, des risques induits par la loi sur la sécurité nationale : "La nouvelle loi sur la sécurité nationale vient passer au-dessus de la loi fondamentale", rappelait-il ainsi. "Les autorités chinoises vont s’attaquer en premier à la liberté d’expression et à celle des prêtres. Ensuite elles vont s’en prendre à l’éducation et aux églises chrétiennes, notamment catholiques."