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Le pouvoir de l’Église dans le chaos haïtien

PRAYING
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Jean-Baptiste Noé - publié le 24/01/24
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Gangrené par les gangs et les réseaux criminels, Haïti ne cesse de sombrer dans la violence. Dans une île où les enlèvements et les demandes de rançons se multiplient, l’Église est la seule structure politique qui demeure, souligne le géopoliticien Jean-Baptiste Noé.

Scène malheureusement banale en Haïti. Le 19 janvier dernier, un minibus transportant six religieuses a été arrêté dans une rue de Port-au-Prince par des gangs criminels. Les passagers ont été pris en otage et sont aujourd'hui retenus dans un lieu inconnu, en attendant une remise de rançon. Dans son angélus de dimanche, le Pape a mentionné cet enlèvement des sœurs de la communauté sainte Anne, qui se livrent à un intense travail social auprès des plus pauvres. Rien n’y a fait. Quel que soit l’engagement de ces religieuses, elles sont une cible comme les autres, et peut-être même plus que les autres, les ravisseurs s’attendant à ce que le diocèse paye leur rançon. C’est un épisode de plus d’une histoire sanglante pour un pays qui n’en finit pas de sombrer.

Indépendance et violence

Haïti peut s’enorgueillir d’être l’un des premiers pays à avoir acquis son indépendance. C’était le 1er janvier 1804. Dans les années 1960-1970, il était une destination touristique de choix, profitant de sa situation géographique dans les Caraïbes pour développer des complexes hôteliers. Il ne reste plus grand-chose de cette économie passée. L’île, mise en coupe réglée par différents clans, notamment la dynastie des Duvallier père et fils qui gouverne de 1957 à 1986, s’enfonce dans la corruption et la violence. La drogue circule, se consomme et se vend, les gangs se structurent, autour de contrôle de quartier et de rites vaudous, les dirigeants se succèdent sans amélioration. En juillet 2021, le président Jovenel Moïse est assassiné par un commando, sans que l’on puisse en déterminer les commanditaires. Depuis lors, le Premier ministre assure l’intérim, sans qu’aucune élection ne soit envisagée, ni retour à une stabilité.

Beaucoup de gangs et de réseaux criminels ont prospéré sur la pauvreté engendrée par le séisme de 2010.

La comparaison avec son voisin Saint-Domingue n’est pas en faveur d’Haïti. Alors que les deux pays se partagent la même île, que leur indépendance date du début du XIXe siècle (1804 pour l’un, 1844 pour l’autre), Saint-Domingue bénéficie d’une plus grande stabilité politique et d’un meilleur développement économique. Le PIB par habitant est ainsi estimé à 1.600 dollars en Haïti contre 10.300 dollars à Saint-Domingue. La violence des gangs n’a pas traversé la frontière, Saint-Domingue veillant à ce que l’effondrement de son voisin ne l’entraîne pas dans sa chute. Ce différentiel de développement se ressent lors des catastrophes naturelles. Le séisme de 2010 qui a frappé Haïti était d’une magnitude de 7, mais il a causé la mort de près de 280.000 personnes. À titre de comparaison, celui de Noto (Japon), le 1er janvier dernier, pourtant d’une magnitude supérieure (7,6) a causé la mort de 200 personnes. Le séisme de 2010 au Chili, d’une magnitude de 8,4, a quant à lui causé la mort de près de 500 personnes. 

L’absence de normes antisismiques, la vétusté des services publics et des bâtiments ont contribué à rendre dramatique un séisme qui n’aurait eu que peu de conséquences s’il avait eu lieu au Japon ou au Chili. Les conséquences sociales de cette catastrophe se vivent encore aujourd'hui : beaucoup de gangs et de réseaux criminels ont prospéré sur la pauvreté engendrée par cette catastrophe. 

L’Église médiatrice

Dans les crises politiques qui frappent le pays, les autorités de l’Église ont joué à plusieurs reprises un rôle essentiel de médiateur. C’est notamment le cas du cardinal Chibly Langlois, premier cardinal d’Haïti, créé en 2014 par François. La même année, il a servi de médiateur dans une discussion entre le gouvernement et l’opposition d’alors, médiation qui avait permis de trouver un accord politique et ainsi de faire redémarrer les institutions haïtiennes pour une paix provisoire et précaire. 

Alors que les gangs prennent possession de la capitale et des principales villes, que les attaques se multiplient sur les routes et dans les quartiers, les institutions de l’Église figurent parmi les dernières structures sociales à maintenir un lien au sein de la société. Accueil des enfants abandonnés, instruction, travaux sociaux pour tenter de sortir les adolescents de la drogue et du crime, le travail des religieuses et des associations ecclésiales est essentiel. Ce qui rend encore plus choquant l’enlèvement de ces six religieuses, ce qui témoigne d’une absence totale de morale de la part des gangs, qui s’attaquent à toute personne susceptible de leur rapporter de l’argent. Les assassinats ciblés ou aveugles se multiplient, les barrages sur les routes sont de plus en plus nombreux et le gouvernement ne contrôle plus rien. L’Église étant la seule structure politique qui demeure, si elle est attaquée, c’est le dernier pilier d’Haïti qui s’effondrera. À vue humaine, aucune solution n’apparaît possible. D’où l’absolue nécessité de l’appel du Pape, pour tenter de forcer le destin et de sauver un pays gangrené par la violence. 

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