L’Église célèbre le dies natalis de ses saints au Ciel, autrement dit l’anniversaire de leur naissance au Ciel, sauf s’agissant de Notre-Dame ou du Baptiste qui possèdent ce privilège de voir commémorer et leur venue au monde et leur mort, non de leur naissance mais de leur trépas. Elle célèbre aussi parfois une translation de reliques mais la deuxième fête de l’apôtre Paul inscrite au calendrier a cette particularité de rappeler l’événement majeur de sa vie : celui qui fit d’un jeune fanatique ennemi déclaré de la communauté chrétienne l’un des piliers de l’Église.
Des convertis, il s’en rencontre d’autres dans l’histoire du catholicisme, parfois de grande importance, tel saint Augustin, mais nul ne possède ce privilège qui résume à lui seul le caractère déterminant de l’affaire du chemin de Damas. Pourtant, quoique nous soyons plutôt bien documentés sur les faits, d’abord par Paul lui-même, plus d’un détail reste obscur et les interprétations divergent au fil du temps et des commentateurs. Qu’en retenir ?
Il avait la vue basse
Nombre de spécialistes situent l’épisode vers la fin 34, mais d’autres disent 36, date souvent retenue pour la lapidation de saint Étienne. Vouloir s’y retrouver dans la chronologie est un défi. Ce qui compte, c’est qu’en ces mois-là, un jeune pharisien natif de Tarse en Asie Mineure nommé Saul, mais aussi Paul car sa famille a obtenu la citoyenneté romaine, termine ses études à Jérusalem près d’une des figures les plus remarquables du monde intellectuel juif, rabbi Gamaliel. Saul est sans doute arrivé peu après le procès et la mort de Jésus dont il reçoit, indigné, les échos, profondément choqué par sa manière de revendiquer sa divinité. La prédication des disciples le scandalise, telle un blasphème et une remise en cause des fondements du judaïsme. Les mises en garde de son professeur, qui veut modérer les passions et rappelle que si l’enseignement des disciples de Jésus vient de Dieu, il est inutile de s’y opposer, ne calment pas Saul. Il croit sincèrement agir dans l’intérêt de la foi en participant, de manière détournée puisque, ayant la vue basse, il se contente de garder les manteaux des lapidateurs sans lui-même aider à l’exécution, à la mise à mort du diacre Étienne.
En une fraction de seconde, Saul comprend le mystère de la Croix et du Salut.
La Tradition a parfois affirmé que les deux garçons se connaissent et fréquentent les mêmes cours, supposé que Saul serait jaloux d’un camarade trop doué. L’on n’en sait rien mais le fait est que la mort d’Étienne, loin de calmer Saul, et le pardon accordé à ses bourreaux, loin de l’apaiser, le rendent plus agressif que jamais. Sans doute faut-il renoncer à l’imaginer, sollicitant le texte des Actes des Apôtres, comme le montrent les cinéastes : organisant des rafles dans les maisons chrétiennes, arrêtant et livrant à la mort des familles entières. Si, de son propre aveu, Saul est un "persécuteur", tout cela relève surtout d’un travail de bureaucrate, zélé…
En une fraction de seconde
C’est dans ce contexte que, désireux d’empêcher que la "secte" dissidente contamine d’autres communautés, le jeune homme, en 34 ou 36, demande au Sanhédrin à aller mettre en garde les juifs de Damas et obtient pour cela des courriers officiels. Il n’entame pas ce déplacement avec des intentions bienveillantes mais l’homme qui arrivera à Damas ne sera plus celui qui a quitté Jérusalem en se promettant de tout détruire des éventuels chrétiens damascènes. Si l’on se fie à l’emplacement de la première église de "la conversion de saint Paul", dans les faubourgs de Damas, Saul est quasiment à destination lorsque, à quelques centaines de mètres de la Porte du Midi, il est renversé de son cheval, confronté à une expérience mystique qui bouleverse sa vie.
Lui-même sera parfaitement clair à ce sujet dans ses épîtres aux Galates et aux Éphésiens, il n’a alors ni vision ni apparition du Christ ; cela lui arrivera mais plus tard. La révélation qu’il connaît relève de la locution intérieure, à travers l’audition d’une voix très nette qui, fidèle à la tradition biblique, l’interpelle par son nom et lui reproche son attitude : "Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?" avant de se présenter comme "ce Jésus que tu persécutes". En une fraction de seconde, Saul comprend le mystère de la Croix et du Salut, qui le scandalisait, la révélation du Père par le Fils, et celle de la réconciliation de la Création avec le Créateur.
Un retournement magnifique
Cette lumière divine qui l’envahit l’aveugle-t-elle au sens propre ou, comme le soutenait l’historienne Marie-Françoise Baslez, faut-il y voir une interprétation symbolique du passage de la cécité de l’erreur à la lumière de la vérité ? Au vrai, est-ce important de trancher ? Ce qui est certain, c’est que Saul, sonné, doit être conduit chez son hôte, Judas, qui vit Rue Haute, précision permettant de situer les faits ; celui-ci appelle un certain Ananie, lequel, en conférant le baptême et le don de l’Esprit à Saul lui rend la vue. Là encore, faut-il s’interroger sur un rituel qui prouverait l’appartenance d’Ananie au mouvement essénien ? Exceptés quelques spécialistes, qui cela intéresse-t-il ? Ce qui compte, c’est que Dieu s’est révélé par le Christ à Paul en cet instant, le renversant au sens propre du terme, et qu’en faisant de cet ennemi de la nouvelle foi son défenseur, Il change le cours de l’Histoire.
Voilà ce que l’Église commémore : la transformation radicale du cœur et de l’âme d’un homme, certes, mais surtout ses fruits de grâces incommensurables, l’ouverture de la prédication de la Bonne Nouvelle aux païens. Magnifique retournement qui nous a faits chrétiens !