Pour qui est attentif, et qui assiste aux laudes et aux vêpres du jour de l’Épiphanie, il y a comme une incongruité. En effet, l’antienne du cantique de Zacharie, le matin, déclare : "Aujourd’hui, l’Église est unie à son Époux : le Christ, au Jourdain, la purifie de ses fautes, les mages apportent leurs présents aux noces royales, l’eau est changée en vin, pour la joie des convives, alléluia." Et celle du cantique de Marie, le soir, proclame : "Nous célébrons trois mystères en ce jour. Aujourd’hui l’étoile a conduit les mages vers la crèche ; aujourd’hui l’eau fut changée en vin aux noces de Cana ; aujourd’hui le Christ a été baptisé par Jean dans le Jourdain pour nous sauver, alléluia."
La liturgie fait ainsi une association entre l’Épiphanie, le Baptême du Christ, et les Noces de Cana. Association qui pourrait ne pas être évidente, sauf si l’on connaît son grec. Ou, tout du moins, le mot "épiphanie" qui vient du verbe "manifester". Fêter l’Épiphanie revient, en quelque sorte, à célébrer la manifestation de Dieu. Si la Nativité a permis de contempler Jésus en son humanité, l’Épiphanie invite à voir dans le petit enfant couché dans la mangeoire Dieu lui-même, révélé par les sages orientaux venus lui offrir de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Historiquement, la célébration de l’Épiphanie est d’ailleurs antérieure à celle de la Nativité.
L’épisode de ceux que la tradition a ensuite appelés Gaspard, Melchior et Balthasar (l’évangile est peu disert à leur sujet) est bien connu, mais il n’apparaît que chez Matthieu (cf. 2, 1-12). Pour Marc, la Bonne nouvelle commence abruptement avec un autre événement pendant lequel est révélé la divinité de Jésus, son baptême dans le Jourdain par Jean : "Et aussitôt, en remontant de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe. Il y eut une voix venant des cieux : "Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie"." (Mc, 1, 10-11)
Saint Luc, qui a pris le temps de narrer les annonciations à Zacharie et Marie puis la Visitation, d’évoquer l’enfance de Jésus, et de faire jaillir des cœurs comblés de beaux cantiques repris dans la liturgie, révèle, lui aussi, la divinité du Fils à l’occasion de son baptême : "L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : "Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie"." (Lc 3, 22)
Qu’en est-il de Jean, dont on sait qu’il traite les événements avec hauteur ? L’apôtre que Jésus aimait fait un choix autre. C’est à Cana que le Christ se manifeste pour la première fois comme le Fils de Dieu, l’Époux des noces éternelles. Une fois l’eau changée en vin, l’évangéliste peut ainsi conclure : "Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui." (Jn 2, 11)
Ce petit parcours le montre bien : la manifestation est la seule solution ! Dieu veut se montrer, se révéler aux hommes, qui ne risqueraient de voir en Jésus que la nature humaine. Pourtant, c’est parce qu’il est aussi pleinement participant de la divinité qu’il peut nous sauver. Une deuxième nature, sans confusion ni séparation, manifestée dans les épisodes de l’Épiphanie, du Baptême, des Noces de Cana.