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[INTERVIEW] Thérèse Hargot : “Le porno ne doit plus être un tabou”

Thérèse Hargot

Thérèse Hargot portrait

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Morgane Afif - publié le 03/01/24
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La sexologue et essayiste Thérèse Hargot publie le 3 janvier 2024 aux éditions Albin Michel "Tout le monde en regarde (ou presque)". Dans cet essai percutant, elle part en guerre contre la pornographie. Aleteia l’a interrogée sur ce qu'elle appelle le "fléau de notre société".

Le téléphone sonne deux coups. À l'autre bout du fil, Thérèse décroche : "Oui ?". On l'entend sourire. Thérèse Hargot est un peu la marraine qui a accompagné des générations d'adolescents et de jeunes adultes. Depuis quinze ans, cette femme inspirante à la voix claire et au sourire radieux sait parler aux jeunes par un discours décomplexé sur la sexualité. Dans son dernier livre, elle s'attaque au porno.

Aleteia : Comment vous est venue l'idée d'écrire ce livre ?
Thérèse Hargot : C'est sur le terrain, auprès des collégiens et des lycéens, que j'ai pris conscience de l'ampleur prise par la pornographie dans leur vie. N'ayant pas été moi-même confrontée à la pornographie, j'ai une grande liberté pour en parler. Pourquoi maintenant ? (au téléphone, Thérèse rit) Parce qu'il fallait absolument que j'écrive ce livre avant de mourir. Je ne suis absolument pas malade, mais c'est venu comme une sorte d'urgence : il fallait en parler. Je suis persuadée que ce combat est le bon, et qu'il faut le crier haut et fort. La pornographie, c'est l'opium du peuple. Elle anesthésie nos consciences : on n'a même plus conscience du mal tant elle a imprégné tous les domaines de notre vie, de la culture avec le cinéma et les séries, à la publicité qu'on placarde dans les rues. Elle est tellement banalisée qu'elle en devient invisible. La pornographie, c'est un tiers du trafic internet : c'est énormissime ! On n'arrivera pas à sortir de l'impact du porno chez les enfants si on n'interroge pas sa consommation par les adultes. C'est le produit, qui, en lui-même, pose problème.

C'est venu comme une sorte d'urgence : il fallait en parler. Je suis persuadée que ce combat est le bon, et qu'il faut le crier haut et fort.

Comment, en tant que parent, protéger nos enfants ?
Déjà, il faut ouvrir les yeux sur le phénomène, c'est pour cela que j'ai écrit ce livre. Quand on est parent, il faut s'informer. Personne n'est épargné : un enfant sur trois de moins de 12 ans a vu des images, deux enfants sur trois au-dessous de 15 ans, la moitié des garçons de 12-13 ans consomme plusieurs fois par mois du porno. Il faut aussi réguler l'accès aux écrans. Mais il faut surtout en parler : le porno ne doit plus être un sujet tabou au sein des familles, exactement comme on parle déjà de la cigarette, de l'alcool et de la drogue. Il faut aussi comprendre que les pouvoirs publics doivent agir.

La seule réponse est donc d'ordre politique ?
La réponse est d'abord politique, c'est certain. La première chose à faire pour contenir ce fléau, c'est de rendre la pornographie payante et de supprimer toutes les plateformes de vidéos gratuites sur lesquelles la majorité des gens vont consommer de la pornographie. C'est la première chose à faire pour limiter les dégâts en rendant la pornographie à nouveau transgressive. C'est hyper facile à mettre en place, mais on ne le fait pas parce qu'il y a un enjeu moral avec lequel les gens ne sont pas à l'aise. C'est un scandale : on laisse cette espèce de drogue dure accessible à n'importe qui, à n'importe quel âge, sans volonté de contrôler son accès.

Comment, concrètement, en parler aux enfants ?
Il faut bien sûr s'adapter à leur âge. Quand ils sont petits, on peut leur dire qu'on peut trouver des choses qui ne sont pas belles sur internet, des images qui peuvent choquer ou mettre de mauvaises pensées dans la tête. On peut alors leur expliquer que pour cette raison, on veut savoir ce que qu'ils regardent et surveiller ce qu'ils font sur les écrans, pour les protéger. En CM1-CM2, on peut utiliser des mots concrets puisque la pornographie est déjà présente dans leur environnement. Il ne faut pas avoir peur d'attiser leur curiosité en en parlant : si on explique bien, les enfants n'iront pas voir. Il faut absolument que les enfants voient ce produit comme une pourriture, comme quelque chose de dégoûtant : on n'a pas de mal à ne pas manger un fruit pourri.

Il faut absolument que les enfants voient ce produit comme une pourriture, comme quelque chose de dégoûtant : on n'a pas de mal à ne pas manger un fruit pourri.

On se rend compte des conséquences de la pornographie sur les enfants. Pourquoi est-elle aussi un problème pour les adultes ?
La pornographie reste une forme d'emblème de la libération sexuelle. Si je suis anti-porno, je suis pro-sexe : la pornographie vient entraver notre liberté dans le domaine précis de la sexualité. L'Église s'oppose à la consommation de pornographie : si la religion donne un repère, le discours ne doit pas pour autant être culpabilisant. La culpabilité, souvent, vient renforcer la consommation de la pornographie. Ce n'est pas une question de volonté : un mineur qui se retrouve face à la pornographie est sous l'emprise de ces images et n'est pas en mesure d'exercer sa liberté : c'est très important de le comprendre. C'est à l'adulte de dire "je te demande pardon, car je ne t'ai pas bien protégé contre ces images", ce n'est pas au mineur de se sentir honteux ou coupable.

C'est à l'adulte de dire "je te demande pardon, car je ne t'ai pas bien protégé contre ces images", ce n'est pas au mineur de se sentir honteux ou coupable.

Il ne faut pas culpabiliser les jeunes davantage, mais les considérer comme des victimes, ce qu'ils sont du point de vue de la loi. Le porno un produit immensément addictif : il est normal qu'un enfant ou qu'un adolescent, lorsqu'il est confronté à ces images, ne puisse pas s'empêcher d'y retourner. Il faut faire attention avec la notion de péché. C'est comme si on distribuait de l'héroïne à un enfant : celui qui est à blâmer, c'est celui qui lui en a donné, ce n'est pas l'enfant : l'enfant ne sait pas et n'a pas les capacité de lutter contre.

Tout le monde en regarde (ou presque), Thérèse Hargot, Albin Michel, 192 p., 18,90€
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