Pour la scénographie de la Nativité, rares sont les représentations de la Vierge Marie avec les yeux levés au ciel. Généralement, les artistes ont peint la mère de Jésus tournée vers son Fils, ou bien regardant les bergers ou les mages. Il existe néanmoins quelques exceptions. Tiepolo, en 1732, Charles Le Brun (1689) ou plus près de nous le peintre François-Joseph Heim (1737-1865) dans une Présentation de Jésus au Temple à l'église de Notre-Dame de Lorette à Paris (IXe), ont chacun représenté Marie avec les yeux levés vers le Père. Quels enseignements nous délivre cette façon de peindre la Vierge dans cette attitude ?
Jésus, l'enfant de la Promesse
D'abord, en levant les yeux au ciel, Marie, éperdue de reconnaissance, exprime sa gratitude au Père de lui avoir donné Jésus et plus encore de l'avoir offert à tous les hommes. Cette iconographie nous fait prendre conscience de la dimension trinitaire de la Nativité. Le Père est Celui qui livre son Fils à l'humanité, l'Esprit saint étant Celui qui l'a conçu dans le sein de la Vierge de Nazareth. Ensuite, le regard de Marie tourné vers l'invisible des cieux exprime sa pensée de la grandeur de la tâche qui l'attend en ayant enfanté le Fils du Père. La mission de Jésus de sauver le monde ne sera pas en effet sans incidence sur sa Mère. Marie semble implorer le Père de lui donner les moyens de se montrer à la hauteur d'une telle mission.
En détachant les yeux de Jésus pour les tourner vers le Père invisible, Marie manifeste sa pauvreté essentielle. En fait, Jésus ne lui appartient pas tout à fait.
Surtout, les yeux de Marie qui se détachent de Jésus pour rendre grâce au Père expriment sa conviction que l'enfant qu'elle tient entre ses bras est l'enfant de la Promesse. Or, cette promesse court depuis le début de l'histoire, depuis la première lueur de salut sortie de la bouche de Dieu après la chute d'Adam et Ève, lueur qui prophétisait que la descendance de la femme écraserait la tête du serpent (Gn, 3,15) — descendance en laquelle la Tradition a reconnu Jésus, le messie sauveur. Cette promesse sera par la suite inlassablement relayée par tous les prophètes de l'Ancien Testament. Aussi, le jour de Noël, Marie la contemplative sait qu'elle est l'ultime maillon de cette chaîne qui court tout au long de l'histoire sainte et qui trouve son aboutissement en son Fils. C'est cette conscience de la Promesse et de son accomplissement qu'expriment les yeux levés au ciel de la Vierge de Bethléem qui, à cet instant précis de l’histoire, représente tous les hommes et toutes les femmes qui ont crié vers Dieu pour qu’Il leur accorde le salut.
La Reine des pauvres
Enfin, en détachant les yeux de Jésus pour les tourner vers le Père invisible, Marie manifeste sa pauvreté essentielle. En fait, Jésus ne lui appartient pas tout à fait. Il est le Fils de la Promesse : à ce titre, il appartient déjà à tous les hommes. Dans sa prescience, Marie anticipe les jours de la vie publique de Jésus durant lesquels elle devra se déprendre de façon de plus en plus douloureuse de celui qu'elle avait porté dans son sein, et ce jusqu'à l'immolation de la Croix.
Noël est la célébration de la pauvreté. Le Fils éternel naît dans une étable. Et Marie, en cette nuit très sainte, n’est pas en reste sur ce plan. Déjà, elle est la Reine des pauvres en se déprenant doucement de Jésus. Intuitivement, elle sait que son Fils devra se faire tout à tous. Elle a conscience qu’elle sera un jour dans l’obligation de le laisser partir sans retour. La mission du Père prime tout. Cependant, cette pensée ne l’attriste pas : la Vierge, humble entre les humbles, a conscience que Jésus est un don immérité de Dieu. Aussi, à Noël, sa joie est-elle en proportion de son humilité et de sa pauvreté. La Vierge acceptera tout de la part de Dieu et du Fils qu’Il nous envoie. Jésus est la vie de sa vie : elle consent d’avance à tous les sacrifices que le Fils et le Père lui demanderont.