Les sources disponibles ne nous permettent pas de connaître avec exactitude la date de naissance de Jésus. Si les Évangiles fournissent des informations sur l’année, ils n’en donnent pas sur le jour lui-même. Ce manque de précision n’est pas étonnant pour qui connaît les mentalités de l’époque. Sous l’Antiquité et pendant les siècles qui suivent, les êtres humains ne sont pas perçus dans leur individualité, mais au sein du groupe.
La dimension collective prime tout. De ce fait, personne n’attache d’importance à sa date de naissance, et personne ne songe à fêter son anniversaire. Certes, les empereurs romains et d’autres personnages qui se considèrent importants célèbrent leur anniversaire, mais c’est justement afin de se démarquer et de mettre en avant leur supériorité. Cette attitude ne peut correspondre à l’humilité dans laquelle Jésus et les premiers chrétiens ont vécu.
Une liturgie d'abord centrée sur la fête de Pâques
Pour l’Église primitive, la vie liturgique est centrée sur la fête de Pâques, le grand mystère de la mort et de la résurrection de Dieu. Les martyrs sont honorés à la date anniversaire de leur mort, qui marque leur entrée au ciel, c’est-à-dire leur naissance à la vie éternelle, seule naissance qui ait réellement de l’importance. C’est pourquoi on s’intéresse d’abord à maintenir vivante la mémoire de la date de la Crucifixion. Celle-ci aurait eu lieu un 25 mars, date vérifiable grâce à la liste chronologique des pâques juives.
L’Incarnation est l’autre événement fondamental de la vie de Jésus solennisé par les premiers chrétiens. En effet, la conception dans le sein de la Vierge Marie, c’est-à-dire la naissance du Christ à la nature humaine, est à leurs yeux plus importante que l’accouchement en lui-même. Cette fête est instaurée le 25 mars, selon une tradition hébraïque bien ancrée qui fait mourir les prophètes à la date du jour où ils sont nés. Ainsi la tradition de l’Incarnation au 25 mars est déjà bien présente dans l’Église, avant qu’on ne pense à célébrer la Nativité. Plusieurs historiens estiment qu’on est arrivé à la date du 25 décembre par déduction, en partant des dates de mort et de conception.
La fête du soleil
Cependant, à la fin du XIXe siècle, certains auteurs émettent l’hypothèse que la date du 25 décembre a été choisie pour contrebalancer une fête païenne. L’autorité chrétienne du IVe siècle aurait ainsi cherché à reprendre à son compte une ancienne fête du soleil, Sol Invictus, et mis en place une sorte de contre-fête. C’est une affirmation lourde de conséquence. Si elle s’avérait exacte, elle signifierait que les dates chrétiennes ne furent pas nécessairement choisies en fonction d’une tradition liée à la foi, mais au contraire, dans un esprit relativiste d’inculturation opportuniste.
Toutefois, plusieurs éléments connus aujourd’hui viennent fortement contredire cette thèse de l’imprégnation. La démonstration proposée par les historiens Alain Cabantous et François Walter est largement convaincante. Tout d’abord, le rapprochement entre les deux fêtes, l’une païenne et l’autre chrétienne, n’est jamais exprimé dans les sources des premiers siècles. D’autre part, la première mention connue de la fête du Sol Invictus figure dans un document de 354. En 336 la date de Noël est déjà connue, et probablement célébrée depuis au moins 311. Il semblerait que le Sol Invictus ait été instauré par Julien dit l’Apostat (331-363). Cet empereur, de culture chrétienne, se fait le champion de l’opposition au christianisme, d’où son surnom.
Ce ne sont pas les chrétiens qui auraient voulu contrer une fête païenne, mais bien plutôt l’empereur Julien qui aurait souhaité contrer la fête chrétienne de Noël en favorisant une fête païenne dédiée au culte solaire.
Dans un discours du mois de décembre 362 il proclame : "Désormais, après le renouvellement de l’année et immédiatement après le dernier mois consacré à Saturne, nous solenniserons par des jeux magnifiques consacrés au Soleil, la fête du Soleil Invincible." La période de l’année dédiée à Saturne correspond au mois de décembre, qui se clôt par les Saturnales, fêtes en l’honneur de Saturne, qui ont lieu tous les ans du 17 au 24 décembre. D’importantes courses de char sont organisées le lendemain, 25 décembre, un peu partout dans l’Empire. Les historiens font le lien entre ces courses et la fête du Sol Invictus. Ainsi, ce ne sont pas les chrétiens qui auraient voulu contrer une fête païenne, mais bien plutôt l’empereur Julien qui aurait souhaité contrer la fête chrétienne de Noël en favorisant une fête païenne dédiée au culte solaire.
On peut donc conclure que le choix de la date du 25 décembre ne répond pas à la préoccupation de neutraliser une fête païenne. Il correspond à la volonté de faire coïncider les dates de la mort, de la conception et de la naissance du Christ. Il correspond sans doute aussi au désir de mettre à profit le symbolisme cosmique lié au solstice. Selon la formule d’Alain Cabantous, le solstice devient le jour où naît le "vrai" soleil de justice, le Christ Sauveur.