Pour ce dimanche de la joie, l’évangile du jour ne l’est pas vraiment, joyeux. Il a le mérite d’en montrer le principal obstacle : le principal obstacle à la joie, c’est la pression. La pression mise par les pharisiens sur les prêtres et lévites envoyés auprès de Jean-Baptiste, qu’ils expriment sous une forme qui nous est familière : "Il faut que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés !" (Jn 1, 22) Ils sont pressés. Ce n’est pas un péché ! La pression, comme la fatigue qui en résulte, n’est pas un péché mais son terreau privilégié.
Comment faire l’harmonie entre nous, quand on voit l’écart entre ceux qui subissent de fortes pressions, économiques ou professionnelles, et ceux qui en sont préservés ? Entre ceux qui se mettent eux-mêmes la pression, par exemple pour les fêtes, et ceux qui se laissent aller et qui ne se mettent pas suffisamment la pression ? Difficile mesure à trouver, comme pour le stress, entre trop et pas assez.
La condition de la joie
"Ah ! si tu déchirais les cieux et si tu descendais", ce cri du prophète Isaïe que nous avions en première lecture du 1er dimanche de l’Avent (Is 63, 19) donne la condition de la joie : les cieux qui se déchirent sont le symbole du temps qui se relâche, qui se détend, pour laisser place au bonheur de la présence du bien-aimé. Pouvoir s’arrêter pour contempler. Trouver la paix dans la prière : "Venez à moi vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, dit Jésus, et moi, je vous procurerai le repos" (Mt 11, 28).
Quand on perd le caractère unique de la personne, et de la relation à l’autre, on ne perd pas seulement sa dignité, on perd en réalité la joie.
Dans ma vie antérieure, quand je travaillais, avec beaucoup de pressions et de satisfactions, je partais avant le jour et je rentrais tard dans la nuit. Je passais au pied de mon immeuble devant un homme de la rue qui vivait sur la plaque de ventilation. Je lui donnais un peu d’argent, de la nourriture, une bouteille, mais l’hiver il dormait dehors et moi au chaud. Le Seigneur m’a fait comprendre que je ne pouvais pas continuer comme ça. Je ne pouvais pas le faire venir chez moi : on ne résout pas un problème en en créant d’autres. Je devais revenir à la source : décider où je trouverais le bonheur. Dans le confort ou dans le partage ?
Le même aveuglement
Cela prend du temps, ce que les envoyés des Pharisiens n’avaient pas : "Il faut que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés !" Cette pression est une des principales causes de l’agressivité. S’ils avaient été lucides, ces émissaires se seraient émerveillés des foules attirées par Jean, de ce mouvement phénoménal de conversion, du miracle de ces foules qui demandaient : "Que devons-nous faire ?" et Jean répondait : "Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; et celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même !" (Lc 3, 11). Voilà ce que ces émissaires auraient dû voir et rapporter : l’enseignement de Jean, et on retrouve le même aveuglement tout au long de l’évangile jusqu’à la Passion quand le grand prêtre interroge Jésus.
Jésus répond : "J’ai parlé au monde ouvertement. J’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple, là où tous les Juifs se réunissent, et je n’ai jamais parlé en cachette. Pourquoi m’interroges-tu ? Ce que je leur ai dit, demande-le à ceux qui m’ont entendu. Eux savent ce que j’ai dit" (Jn 18, 21). À ces mots, un des gardes qui était à côté de Jésus lui donna une gifle en disant : "C’est ainsi que tu réponds au grand prêtre !" Quelle réaction !
Une ignorance de l’autre
J’ai découvert les travaux du sociologue allemand Hartmut Rosa sur l’accélération comme facteur d’agressivité, notamment dans nos sociétés occidentales. Il ne fait pas l’éloge de la lenteur, cela n’aurait aucun sens. Il explique ainsi le sentiment que nous avons d’une violence croissante, un sentiment d’insécurité d’autant plus fort qu’on met sa confiance dans l’éphémère et l’inconstant. À l’opposé de Dieu. Et qu’on voudrait s’affranchir du temps, d’un temps minimal d’apprentissage, de réflexion, de partage, de prière.
Il n’est pas sûr que l’accélération soit le facteur le plus important de l’agressivité, c’est plutôt son aggravation. L’agressivité est une ignorance de l’autre, le refus de la différence, comme si tout le monde devait être pareil ! Comme s’il n’y avait pas de la place pour chacun ! Et quand on perd le caractère unique de la personne, et de la relation à l’autre, on ne perd pas seulement sa dignité, on perd en réalité la joie. Pour vivre Noël, dire stop à l’agressivité, prendre le temps d’accueillir, d’écouter, de regarder, d’admirer, en un mot d’aimer, pour retrouver la joie.
Pratique