"Quand, par l'hiver, bois et guérets sont dépouillés de leurs attraits, mon beau sapin, roi des forêts, tu gardes ta parure" chante l’air bien connu. Le sapin est loin de n’être qu’un objet païen sous lequel s’abrite la crèche qui, seule, rappellerait que Noël, c’est surtout la naissance du Sauveur. Il nous dit lui aussi quelque chose du petit enfant dans la mangeoire. La chanson, d’ailleurs, n’évoque-t-elle pas la promesse d’une nature qui renaîtra au printemps ? Est-t-il symbole plus chrétien que celui qui annonce la résurrection ? La tradition nous vient du Moyen-Âge, lorsqu’au cœur de l’hiver, installés sur le parvis des églises, les sapins étaient le symbole de l’arbre du paradis perdu. Traditionnellement associé à un pommier, c’est naturellement le conifère qui est élu, pour tenir le rôle de son cousin caduc. Pour que l’illusion opère, on décorait alors ses branches de pommes qui rappelaient le péché originel et le jardin d’Eden. Le XVIe siècle voit l’usage se répandre et s’étoffer d’une véritable symbolique.
L’hostie, la pomme et le serpent
Le sapin, qui survit à l’hiver au cœur d’une nature endormie, évoque l’espérance de la résurrection en annonçant le printemps. Il rappelle ainsi que, comme le Christ au tombeau, il veille, celui que l’on croyait mort. L’arbre se pare alors de tout un lexique d’objets symbolisant le bien et le mal. La pomme, bien sûr, celle qui rappelle la tentation et le péché : c’est d’elle que sont nées les boules de Noël, rouges, pour en rappeler l’aspect, avant de se déployer dans toute la gamme de formes et de couleurs qu’on leur connaît aujourd'hui. C’est en 1858 que l’on substitue au véritable fruit un dupe en verre soufflé, alors que la sécheresse a mis à mal les récoltes. C’est un artisan vosgien qui a alors l’idée de fabriquer des boules rouges pour imiter les pommes cette année-là. A leurs côtés, on trouvait aussi des hosties non consacrées, appelées "oublies", qui symbolisaient la rédemption offerte par le sacrifice du Christ et le rachat du péché introduit par le fruit au jardin. Cet usage-là s’est perdu, l’Eglise craignant les dérives que l’utilisation d’hosties, mêmes non consacrées, pouvait introduire. Progressivement, la gamme de symboles accrochés dans ses branches s’étend : le XVIIe siècle voit y apparaître le lierre qui rappelle par sa forme et sa couleur le serpent enlaçant l’arbre pour tendre à Eve le fruit de la connaissance du bien et du mal. C’est de lui que viennent les guirlandes chamarrées.
C’est aux Protestants, fins connaisseurs de la Bible, que l’on doit l’enrichissement des décorations du sapin. On y ajoute des papillotes, fleurs colorées rappelant le « rameau de Jessé », d’où a fleuri l’ascendance du Christ par la lignée de David. En Alsace, le XVIIIe siècle et les Lumières étouffent progressivement l’image chrétienne du sapin de Noël et substituent aux pommes et aux oublies des noix peintes et des friandises de tout genre dont les enfants se régalent, passée l’Epiphanie. Il faut attendre quelques décennies pour que les bougies ornent ses branches, non sans rappeler la "Lumière du monde". L’arbre du péché, ainsi revêtu de lumière, semble proclamer la Gloire du Seigneur. C’est d’ailleurs ce que l’on écrivait autrefois sur la bannière qui en ornait la tête : "Gloria in excelsis Deo", entre les anges et les trompettes joyeuses. Si, aujourd'hui, les décorations n’évoquent plus guère l’enseignement chrétien que portaient les sapins d’autrefois, encore peut-on sourire de voir au cœur de tant de foyers, dans le monde entier, le rappel lumineux et discret que Dieu a tant aimé le monde qu’Il s’est fait petit enfant pour le sauver.