Gérald Darmanin a annoncé le 10 décembre qu'il présenterait "dans les semaines à venir" (aucune date précise n'a pour le moment été dévoilée, ndlr) en Conseil des ministres la dissolution d'Academia Christiana, association catholique traditionaliste. Fondée en 2013 et présidée par Victor Auber, ancien professeur de français et de philosophie dans un établissement privé hors contrat, cette association se définit comme un institut de "formation intégrale" avec une dimension "spirituelle, morale, intellectuelle et sportive".
"Ce n'est pas une association qui correspond, nous semble-t-il, aux valeurs de la République", a justifié Gérald Darmanin sur CNews et Europe 1 le lundi 11 décembre. "À travers son discours, ses références et le choix de ses intervenants, l’association promeut en effet la discrimination et la haine à l’encontre des personnes de confession juive, des immigrés, des homosexuels et des femmes", estime encore le ministère de l'Intérieur dans une lettre adressée à l'association et révélée par Valeurs Actuelles. L'association, qui réfute l'ensemble des accusations formulées à son égard et dénonce le manque de faits concrets permettant de caractériser une infraction, a déjà annoncé son recours devant le Conseil d'État. Mais quelle est la procédure utilisée par le gouvernement pour engager la dissolution d'un groupe ? Sur quels outils et quels fondements s'appuie-t-il ?
1Le principe : la liberté d'association
En droit, la liberté d'association est garantie par la loi du 1er juillet 1901 et est un principe fondamental reconnu par les lois de la République ayant valeur constitutionnelle. La dissolution d'une association ou d'un groupe, si elle n'intervient pas volontairement, statutairement ou judiciairement, peut être administrative. C'est le cas, en l'espèce, d'Academia Christiana. La mesure est alors prise via un décret en Conseil des ministres. Cette prérogative se retrouve dans l'article L.212-1 du Code de la Sécurité Intérieure. Celui-ci dispose que sont dissous toutes associations ou groupements de fait dès lors qu'ils remplissent l'un des motifs énumérés dans les alinéas 1 à 7 de la loi.
2Les motifs possibles de dissolution
Sont concernées par cet article les associations dont l'objet ou l'action porte atteinte à l'intégrité du territoire national (al.3), ou celles impliquées dans la préparation d'actes de terrorisme (al. 7). Mais aussi celles qui appellent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens (al.1). Ce motif a par exemple été soulevé par le ministère de l'Intérieur pour dissoudre la "Division Martel" mercredi 6 décembre, après des violences consécutives à la mort de Thomas, à Romans-sur-Isère. Le ministère de l'Intérieur considère également qu'Academia Christiana incite, par ses enseignements, à la "violence physique contre ceux qui sont désignés comme des adversaires, à savoir les militants de gauche, les forces de l’ordre et plus généralement la République française", selon Valeurs actuelles.
L'alinéa 5 de l'article proscrit aussi l'exaltation de la collaboration avec l'ennemi. C'est l'un des autres reproches faits par le ministère de l'Intérieur à Academia Christiana, qui aurait fait "l’apologie de la collaboration en rendant hommage au régime de Vichy" , notamment via une vidéo publiée en août 2020 sur la chaîne YouTube évoquant le cimetière des miliciens du Grand Bornand, et un article considéré comme un hommage à Robert Brasillach.
Les associations qui peuvent être assimilées de par leur objet ou leur action à une organisation militaire, un groupe de combat ou une milice privée sont également soumises à une risque de dissolution (al.2). La loi ordonne enfin la dissolution administrative pour les groupes qui incitent à la discrimination, à la haine ou à la violence (al.6) : par exemple, en octobre 2021, le gouvernement avait mis fin à l'existence de la Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI) sur ce fondement. Le décret pris à l'époque mentionnait notamment la propagande islamiste véhiculée par l'association et le fait que le CRI "légitime et justifie les actes terroristes par la circonstance que la France serait un pays hostile aux musulmans."
3Les voies de recours
Lorsque le Conseil des ministres estime que l'un de ces critères est rempli, le décret de dissolution est pris et la décision est notifiée au groupe visé. Celui-ci n'aura donc plus d'existence juridique et ne pourra plus exercer ses activités. Cette décision est-elle irrémédiable ? L'association visée dispose toujours d'une voie de recours devant le juge administratif (y compris par un référé-liberté). C'est en l'occurrence ce qu'a annoncé vouloir faire le président d'Academia Christiana. Dans ce cas, le juge vérifie si la mesure gouvernementale est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité de sauvegarde de l'ordre public poursuivie, eu égard à la gravité des troubles susceptibles de lui être portés par l'association visée. Pour le collectif écologiste des Soulèvements de la terre dont Gérald Darmanin avait souhaité la dissolution, le Conseil d'État avait ainsi estimé en novembre 2023 qu'aucune "provocation à la violence contre les personnes" ne pouvait être qualifiée, à l'inverse d'agissements violents contre les biens. Sa dissolution avait donc été annulée, car elle "ne constituait pas une mesure adaptée, nécessaire et proportionnée à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public".
Si la dissolution est confirmée, reste l'unique recours auprès de la Cour européenne des droits de l'Homme. Depuis 1936, environ 150 décrets de dissolution ont été pris. Leur nombre a fortement augmenté sous les deux quinquennats d'Emmanuel Macron, avec 37 décrets pris ses ministres de l'Intérieur, soit une moyenne de 5,83 dissolutions par an (contre deux dissolutions par an sous François Hollande). La majorité d'entre eux concerne les associations islamistes (16 organisations dissoutes) et l'ultra-droite (14 organisations dissoutes).