Après un énième report, la version finale du projet de loi sur la fin de vie, annoncé par Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle de 2022, doit finalement être présentée en février 2024 en Conseil des ministres. "Et il faudra au moins 18 mois de débat au Parlement", a prévenu Agnès Firmin Le Bodo, la ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé qui pilote ce projet, au micro de France info. C'est donc une version "provisoire" du projet de loi qui a été communiqué à plusieurs médias ces derniers jours.
Mais même provisoire, le texte a de quoi inquiéter. D'ailleurs, sa publication n’a pas manqué de faire réagir : "Le contenu indigent de ce document suscite l’inquiétude et la colère des professionnels de santé tant le caractère approximatif des propositions témoigne d’une grave méconnaissance de l’existant, d’une forte ignorance des tâches assumées notamment par les équipes de soins de support, et d’une absence totale d’évaluation des besoins humains et de financement des mesures préconisées", ont dénoncé 18 associations de soignants. Et de fait, la lecture attentive du texte laisse perplexe sur l'importance qu'il accorde à la vie.
Tuer sera un soin
D’après le texte provisoire, l’aide à mourir serait inscrite dans l’article L 110-5 du Code de la Santé qui prévoit déjà un "droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance" mis en œuvre par les professionnels de santé. Intégrer l’euthanasie et le suicide assister dans cet article revient à intégrer ces pratiques dans le continuum de soins. L’euthanasie (terme qui qualifie l’ensemble des usages permettant de provoquer la mort d’un malade) et le suicide assisté (aider un malade à se tuer) n’entrent aucunement dans la catégorie des soins. Or c’est bien la pratique de soins qui qualifie l’engagement du corps médical et du personnel soignant. "Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera", peut-on lire dans le serment d’Hippocrate qui rappelle également : "Je ne provoquerai jamais la mort délibérément."
Un médecin pourra décider tout seul
D’après le projet de loi provisoire, le médecin sera chargé de réaliser une évaluation médicale des demandes de "mort choisie" et de vérifier que le patient correspond aux critères d’accès. Avant de donner suite à la demande de son patient, le médecin sera prié de demander l’avis d’un autre médecin qu’il ne connait pas ainsi que d’un spécialiste de la pathologie du patient en question afin de statuer sur "l’engagement du pronostic vital". D’autres membres du corps médical peuvent être sollicités. Mais ce ne seront que des avis. "Il ne s’agit donc pas d’une décision collégiale, mais bien d’une décision prise par le médecin", précise pour le moment le document. En d’autres termes, aucune ‘contrevisite’ n’est prévue pour une décision aussi grave que celle de tuer quelqu’un. Cette responsabilité est laissée entre les mains d’une seule personne. "Le médecin se retrouve seul et tout-puissant, ce qui constitue un grave retour en arrière par rapport à la loi de 2005 et va à l’encontre d’années d’évolutions en faveur du développement d’équipes de soins", dénoncent ainsi plusieurs associations et collectifs de soignants.
Il suffira de prendre rendez-vous pour mourir
Le modèle travaillé par la ministre de la Santé Agnès Firmin Le Bodo prévoit que le suicide assisté ait obligatoirement lieu en présence d’un soignant. Une modalité qui se rapproche du modèle belge car le patient serait obligé de programmer à l’avance la date et l’heure de sa mort afin de s’assurer de la présence d'un médecin ou d'une infirmière. Le jour J un infirmier ou un médecin aura ainsi un créneau bloqué dans son planning pour "vérifier la volonté de la personne" et préparer le produit létal ou installer la perfusion si besoin. S’il n’est pas obligé de rester dans la même pièce lorsque la patient rendra son dernier souffle, il devra néanmoins rester dans les parages pour "intervenir en cas d’incident lors de l’administration".
Se faire tuer par un proche sera envisageable
L’aide à mourir, c’est-à-dire "l’administration d’une substance létale", serait "par principe" effectuée "par la personne elle-même", précise le document provisoire. Il s’agirait donc de suicide assisté. Mais "un médecin, un infirmier" pourrait jouer ce rôle dans le cas où le malade "n’est pas en mesure physiquement d’y procéder". Rôle qui pourrait aussi être joué... par un proche. Par exemple, souligne le texte, en "apportant le verre et faire boire à la personne la substance létale…". Ce projet ouvre donc la possibilité d’avoir recours à l’euthanasie pratiquée par un tiers, un proche. Un terme flou qui pousse à s’interroger : qu’en sera-t-il des personnes vulnérables notamment âgées, qui craignent déjà si souvent d’être un poids pour leur entourage ? Combien de temps vont-elles mettre afin de se sentier obligées de choisir cette voie pour ne pas être un poids supplémentaires pour les dits proches ?
Un contrôle se fera... a posteriori uniquement
D’après les éléments du projet de loi, partiellement connus, à l’issue du décès du patient le médecin ou l’infirmier devrait enfin enregistrer la procédure dans un système d’information pour qu’elle puisse être tracée par une "commission d’évaluation et de contrôle du dispositif d'aide à mourir". Cette instance technique réaliserait un contrôle "a posteriori", comme en Belgique. Alors que les mises en garde et les alertes se multiplient de la part du corps médical, du personnel de santé et que des études alarmantes existent dans les pays où l’euthanasie a été légalisée, le projet de loi en France prévoit la simple mise en place d’une commission a posteriori quand la loi sera déjà en application.
Le glaçant concept de "secourisme à l’envers"
Le document évoque un concept qui a de quoi surprendre : le "secourisme à l’envers". L’objectif ? "Hâter le décès en limitant les souffrances." Le glissement sémantique opéré dans ce texte témoigne soit d’une grande ignorance du serment d’Hippocrate et du rôle des professionnels de santé, soit d’un mépris total pour ces derniers. "Ce terme dépeint à quel point les rédacteurs de ces mesures sont "hors sol" et méprisent l’opinion des professionnels de santé", dénoncent ainsi plusieurs collectifs de soignants.
Le suicide sera remboursé par la Sécu
L’article 20 du projet de loi prévoit, pour le moment, que les frais de « l’aide à mourir » soient pris en charge par l'assurance maladie. Cet acte serait donc inscrit dans le Code de la sécurité sociale pour pouvoir être remboursé. Le Code Pénal qui définit le meurtre et l'assassinat ne serait en revanche pas modifié. « En l’état de la législation française, l’aide active à mourir peut recevoir l’une ou l'autre de ces qualifications », relève pourtant le document. Pour que les personnes ne soient donc pas inquiétées en cas de pratique de l’euthanasie ou du suicide assisté, « le texte prévoit de s'appuyer sur une exception déjà prévue pour la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ». «Ce qui serait le cas de l'aide à mourir une fois la loi adoptée», poursuit le document. La sécurité sociale étant financée par les impôts, chacun contribuerait donc ainsi à aider son prochain à mettre un terme à sa vie. En toute légalité.