La ministre des solidarités et des familles, Aurore Bergé, a entrepris depuis lundi 11 décembre un "tour de France de la parentalité" pour consulter parents et associations en vue de "relever les défis de la parentalité aujourd’hui". En parallèle, le gouvernement a créé une commission scientifique composée de démographes, magistrats, pédopsychiatres et philosophes, chargés de proposer, d’ici six mois, des mesures concrètes pour épauler et soutenir les parents en difficulté.
Outre un futur "congé familial" et une augmentation de 30% des ressources des CAF, la ministre a également évoqué, dans une interview publiée dimanche 10 décembre dans La Tribune Dimanche, "des travaux d’intérêt général pour les parents défaillants, le paiement d’une contribution financière pour les parents d’enfants coupables de dégradations auprès d’une association de victimes et une amende pour les parents ne se présentant pas aux audiences qui concernent leurs enfants". Des mesures coercitives qui ont d’emblée provoqué la démission de trois experts de la commission.
De son côté, Pascale Morinière, présidente des AFC, regrette que les premières mesures annoncées soient des mesures répressives à l’encontre des parents. Selon elle, leur autorité ne peut être qu’affaiblie par des mesures telles que des travaux d'intérêt général. "L'autorité parentale a peu de chances de sortir restaurée et grandie d'une telle punition", a-t-elle réagi sur X.
Aleteia : Aurore Bergé, ministre des solidarités et des familles, a commencé un "tour de France de la parentalité" et installé une commission en vue de "relever les défis de la parentalité aujourd’hui". Qu’en pensez-vous ?
Pascale Morinière : L’intérêt porté par le gouvernement aux questions d’éducation et de responsabilité éducative des parents est à encourager. Il est utile d’accompagner les parents, de les soutenir, d’être à leurs côtés. Renforcer les moyens des CAF (Caisses d’Allocations Familiales) pour le soutien à la parentalité est une bonne chose. Mais les annonces contiennent aussi une politique coercitive voire punitive puisqu’on parle de travaux d’intérêt général pour les parents "défaillants". Cela ne servirait à rien. Une politique punitive au contraire va contribuer à saper l’autorité parentale. Comment espérer qu’un parent puni, humilié, puisse restaurer son autorité devant ses enfants ? Quand une femme élève seule ses enfants, qu'elle quitte le domicile à 5 heures du matin pour aller faire des ménages et rentre tard le soir, comment peut-on espérer l'aider avec une telle mesure ? J’ai côtoyé ces femmes lorsque j’étais médecin à la PMI. Avec des mesures punitives, on écrase encore plus ces personnes qui n’ont pas les ressources financières, morales, ou de temps pour fonctionner dans le système et prendre soin de leurs enfants. Ce serait plutôt aux jeunes de faire des travaux d’intérêt général s’ils ont abîmé ou cassé quelque chose ! Pas à leurs parents.
Si ce n’est pas par des mesures répressives, comment faire en sorte que les parents "tiennent" leurs enfants, pour reprendre l’expression du garde des Sceaux après les émeutes de juillet ?
Il serait bien plus utile de reconnaitre l’action bénéfique des familles unies pour toute la société et de soutenir la stabilité des couples. Ce sont des familles aimantes, unies, qui peuvent le mieux endiguer les délitements sociaux. La société a décidé que l’individualisme primait, que chacun était libre, que le lien conjugal n’avait pas besoin d’être soutenu… On en voit les conséquences. Moins le lien conjugal est solide, moins la famille est solide, plus les enfants dérivent, plus le lien social s’effiloche. Il y aurait beaucoup à faire en préventif, à commencer par renforcer le lien conjugal. Car c’est dans la famille, à partir du lien conjugal, que se situe le premier incubateur de la vie sociale. Or les lois aujourd’hui ont plutôt tendance à faciliter les séparations.
C’est une mauvaise chose, pour la société, que le lien familial se défasse.
Certaines mairies se sont lancées - mais elles ne sont pas nombreuses - dans la préparation à la conjugalité, quelque que soit le mode d’union. Il conviendrait aussi de rembourser les séances de conseil conjugal et familial. Cela les rendrait plus banal, les couples pourraient être accompagnés de la même manière qu’on peut être accompagné par un psychologue. Cela permettrait de normaliser le fait que dans un couple, il y ait des hauts et des bas, plutôt que de tout de suite aller voir ailleurs. Au moment des émeutes, Emmanuel Macron a souligné que 60% des mineurs présentés à la justice venaient de familles monoparentales. C’est juste de le souligner car enfin on reconnaît que c’est une mauvaise chose, pour la société, que le lien familial se défasse. Avant, on ne le reconnaissait pas.
Cet intérêt soudain du gouvernement pour la parentalité soulève tout de même la question de l’ingérence de l’État dans la sphère familiale. Les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants. Jusqu’où l’État est-il en droit de s’immiscer dans la sphère familiale ?
Le fait de déshabiliter la famille au profit de l’individu et de sa sacro-sainte liberté aboutit en effet à davantage d’intrusion de l’État dans la sphère familiale. Pour compenser certains manques. Mais il y a des limites à apporter. L’instruction en famille en est un excellent contre-exemple. L’État a l’air de considérer qu’il doit prendre le relais en matière d’enseignement scolaire, alors que ça se passe très bien dans l’immense majorité des cas. Et il y a suffisamment d’inspecteurs sur le terrain pour détecter lorsque cela se passe mal et enlever une habilitation. Oui l’État doit prendre le relais quand les parents sont maltraitants, abuseurs… mais qu’y a-t-il au juste derrière le mot "défaillants" ? Le revers de l’égalité, qui est devenue un égalitarisme, est de traiter tout le monde de la même manière. Alors l’État finit par être intrusif au sein de toutes les familles.