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Liberté, égalité, choucroute 

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Xavier Patier - publié le 12/12/23
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Pourquoi la fraternité est la mal-aimée de la devise républicaine ? D’une certaine manière, fait remarquer l’écrivain Xavier Patier, elle est antérieure et supérieure à tous les autres principes, puisque la politique est l’art d’habiter ensemble.

Les 7 et 8 décembre derniers, la Fraternité Edmond-Michelet tenait son colloque annuel à Brive sur le thème : "Fraternité, l’oubliée". Il s’agissait, on le devine, de s’attaquer au plus improbable et au plus ténu des trois mots de notre devise républicaine. La liberté, tout le monde sait ce que c’est. L’égalité, nos politiques ne cessent d’en parler. Mais la fraternité ? Comme le faisait observer le président Laurent Soutenet en ouverture des débats, il est devenu courant de se moquer de ce troisième mot qui en appelle aux bons sentiments dans un monde impitoyable, et l’on s’amuse avec lui. On entend sans cesse des parodies de notre devise qui ridiculisent la "fraternité" : liberté, égalité, sexualité ; liberté, égalité, laïcité ; liberté, égalité, diversité, et même (c’est titre d’un film): liberté, égalité, choucroute.

Sans fraternité, pas de débat

Le professeur Jean-François Sirinelli raconta que lors d’une récente table ronde d’universitaires consacré à la devise républicaine, il fut pris à partie par la quasi-totalité des intervenant.e.s (sic) qui exigeait qu’on modifiât la devise en "liberté, égalité, sororité" avant de commencer à en débattre. Vous dites fraternité ? Vous êtes machiste. Donc fasciste. Allez réfléchir et discuter dans ces conditions ! C’est pourtant à ce genre de logomachie que ressemble le débat d’idées aujourd’hui, et je serais tenté d’en déduire qu’il n’y a pas de débat possible sans fraternité, justement. La sororité punitive, à la mode Sandrine Rousseau, est incompatible avec la fraternité. Sans fraternité, pas de débat. 

Revenons au sujet. Le colloque était divisé en trois thèmes : la fraternité spirituelle et politique, la fraternité sociale et la fraternité universelle. Entre autres interventions, l’abbé Nicolas Risso donna une analyse de l’encyclique Fratelli tutti, Paule René-Bazin un exposé sur le père Wresinski et ATD-Quart Monde et Alexandre de Vitry une analyse sur le thème : "A-t-on le droit de choisir ses frères ?" Une matinée était consacrée à la fraternité dans les relations internationales. Réflexions stimulantes parce qu’inabouties. C’est la loi des colloques. 

On ne règle rien à bâtir une fraternité de l’entre soi [...] La vraie fraternité cherche au contraire à voir un frère dans l’étranger, mêmes estropié, même pécheur.

La "Fraternité" n’a rejoint la devise républicaine qu’avec la Constitution de 1848. Elle n’a pas atteint le statut de valeur de la République opposable dans le bloc de constitutionnalité, à la différence de ses deux grandes sœurs, la liberté et l’égalité. Mais elle est d’une certaine manière antérieure et supérieure à tous les autres principes, puisqu’elle puise ses racines politiques (comme j’aurais aimé l’entendre) au début du psaume "Voyez comme il est bon et doux d’habiter en frères tous ensemble". La politique est l’art d’habiter ensemble. Sans fraternité, elle perd son objet. 

Nous qui voyons chaque jour combien il est mauvais et dur d’habiter entre hommes qui ne se sentent pas frères, nous désirons une politique de fraternité, autrement dit une politique de civilisation. Les défis de l’ordre public, le choc des cultures et les animosités religieuses aggravées par les flux migratoires nous effraient, mais ils ne sont pas d’une nature différente de ceux que durent affronter des politiques des temps troubles d’autrefois comme furent saint Louis ou Charles de Gaulle. Ils sont le fruit d’un déficit de fraternité. On ne règle rien à bâtir une fraternité de l’entre soi, comme s’y sont essayé les francs-maçons du siècle des Lumières, dont le colloque nous a appris qu’ils voulaient choisir leurs frères seulement parmi les bien-portants et les vertueux. La vraie fraternité cherche au contraire à voir un frère dans l’étranger, mêmes estropié, même pécheur. Immense différence entre la fraternité maçonnique et la fraternité catholique. "Si ton frère a péché, va et reprends le, entre toi et lui. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère" (Mt, 18). La politique consiste à gagner mon frère. La fraternité, c’est la non-indifférence. Elle passe par la vérité et débouche sur un projet politique. 

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