Anne-Sophie Touche est photographe, mère de famille et directrice de projet dans le spectacle vivant. Elle a publié chez Salvator Ce que Dieu donne. Entretien avec une femme comme tant d’autres, une femme qui a un métier, une famille, qui aurait mille choses à faire plutôt que prier, et pourtant, Dieu est là à ses côtés.
Aleteia : Chaque chapitre de votre livre nous plonge dans les dons que vous avez vous-même reçus. Tout ceci est très personnel, quel message souhaitez-vous partager ?
Anne-Sophie Touche : Il y a deux aspects qui m’ont poussée à écrire ce livre. Le premier est de dire que la vie spirituelle n'est pas réservée aux professionnels dans les couvents ou les presbytères. Dans tous les états de vie, il est possible de trouver cet espace, une vie spirituelle dense. Le deuxième aspect est le sujet de la relecture. J’ai grandi avec ça : relire ma vie dans la prière. Passer ainsi par le regard de Dieu sur ma vie est un outil très riche, un outil de croissance auquel je crois beaucoup.
Vous êtes issue d’une famille catholique, vous avez grandi au sein de l’enseignement catholique, mais depuis quand diriez-vous que vous vivez cette conversation intime avec Dieu ?
J’ai découvert la foi à 13 ans. J’avais une soif incroyable de Dieu, et le premier mouvement que j’ai rejoint était basé sur la relecture de vie. J’ai beaucoup grandi spirituellement, en équipe. Le JICF, Jeunesse Indépendante Chrétienne Féminine, fonctionne en équipe. La relecture est un point clé, et je me suis rendu compte que ce n’est pas très répandu dans le monde.
Travail, famille, bénévolat, vos journées sont bien remplies. Avec toutes ces casquettes, comment trouvez-vous le temps d’écouter Dieu ?
Avant j’aurais dit que prier la Parole en mode ignatien était le seul chemin, mais depuis une dizaine d’années, j’ai découvert plein d’autres façons de prier. J’ai avancé dans la vie. Avec les grossesses, le travail, je n’arrive plus à garder dans ma semaine deux fois une heure avec la Parole mais j’ai d’autres lieux de prédilection. Premièrement la voiture : c’est un lieu de prière quotidienne, instantanée. Le deuxième lieu, c’est le train ! En 2009 j’ai commencé à prier à l’écrit. Cela a donné mon premier livre. Cela a commencé dans le train. Maintenant, quand le train démarre, c’est comme un réflexe de prière, mon cœur se met à prier.
Quand le train démarre, c’est comme un réflexe de prière, mon cœur se met à prier.
Dans ma paroisse actuelle, je prie aussi par le chant et la louange. J’aime beaucoup même si je ne pourrais pas avoir que cela comme forme de prière. J’aime avoir maintenant plusieurs façons de prier. En ce moment par exemple, ce que je tiens le mieux, ce sont les laudes avec les sœurs juste à côté de chez moi. Aujourd'hui la diversité me fait du bien et me permet de rester fidèle à la prière.
Beaucoup pourtant disent ne pas réussir à trouver le temps de prier. Qu’avez-vous à leur dire ?
En 2009, j’avais un accompagnement spirituel et cela ne se passait pas très bien, nous avions même failli y mettre un terme. J’étais consultante à temps plein, je dormais quatre nuits en dehors de chez moi, je passais ma vie sur les routes, je travaillais soir et week-ends et mon accompagnatrice me disait "Tu ne pries pas parce que tu ne le veux pas". Elle avait la tête dure, et moi je m’énervais en lui disant qu’elle ne savait rien de ma vie, que je n’avais pas le temps ! Quand enfin ma volonté a été alignée avec mon désir, alors j’ai trouvé plein d’interstices pour prier. Elle avait raison, je ne le voulais pas vraiment avant. Je n’hésite pas non plus à dire au Seigneur de gérer, s’Il m’a inspiré le désir de prier, qu’Il se charge de me trouver l’espace. Dieu ne résiste pas à ce genre de prière !
Revenons sur la naissance de votre fille. Vous confiez dans votre livre son séjour en néonatalité et le fait d’être totalement mobilisée pour la vie de votre enfant. Pendant cette période, vous ne priez plus. Pourtant, en relisant votre histoire, vous parlez de la Présence de Dieu alors même que vous ne vous adressiez pas à Lui. N’y-a-t-il pas là quelque chose de la grandeur de Dieu qui veille au-delà de nos propres forces ?
Oui, heureusement Dieu n’attend pas notre qualité de présence pour être présent ! C’est assez mystérieux mais nous avons été portés. Il y a des médecins dans ma famille, ils connaissent les dangers de la très grande prématurité. La main de mon bébé tenait sur l’ongle de mon pouce. Cette période est comme une espèce de bulle, je n’en garde pas un mauvais souvenir, l’accueil en néonatalité a été exceptionnel. Nous vivions chaque instant l’un après l’autre. Un jour, la couveuse voisine, qui accueillait un bébé de 500g, n’était plus là. Je savais bien ce que cela voulait dire, pour nous aussi cela aurait pu mal tourner, mais j’ai immédiatement refermé cette possibilité dans mon esprit. Nous étions en paix, en confiance.
Vous témoignez également d’une période proche du burn out, où, un dimanche matin, vous décidez d’aller à la messe, en arrivant un peu en retard pour vous cacher au fond de l’église. Vous racontez votre besoin de prier, de communier, mais aussi votre refus d’assumer le groupe par peur de vous effondrer. Or ce groupe que vous voulez éviter, c’est finalement lui qui vous donne l’expérience du réconfort : Dieu vous a-t-il souvent surprise ainsi ?
Tout le temps ! Il me prend toujours à revers ! Si je Lui dis “Seigneur tout ce que tu veux, mais pas ça”, je peux être sûre que je vais aller là dedans. Par exemple, je veux bien encadrer, mais pas telle personne. Et bien voilà, c’est celle-là que l’on me confie ! Mais Dieu ne fait pas ça pour m’embêter, à chaque fois mes a priori tombent.
Vous reconnaissez ne pas avoir connu la pauvreté matérielle, mais avoir été éclairée par Dieu sur vos pauvretés, orgueils, peurs de perdre, attachements excessifs, fausses certitudes. Faut-il en passer par là, par cette vérité sur soi-même, pour trouver Dieu ?
En ce qui concerne la vie spirituelle, je parle souvent de marée haute et de marée basse. Souvent ces périodes de pauvreté ont la régularité des marées. Je peux vivre quelques semaines ou mois spirituellement intenses où je reçois beaucoup, et où je donne beaucoup. Je vais bien et je sais pourquoi je suis là. Et ensuite, pendant plusieurs semaines ou mois (une fois, cela s'est compté en années), je prends du recul, encore du recul, puis du retrait, pour être finalement absente. Je fais comme si Dieu n’était pas un sujet. Je vais revenir assez piteuse de la pauvreté de ma fidélité alors que je sais tout ce qui m'est donné.
En ce qui concerne la vie spirituelle, je parle souvent de marée haute et de marée basse.
Peut-être est-ce parce que je sais tout ce qui m’a été donné que j’ai aussi ces phases de retrait. Comme si j’avais un sentiment de "trop". Je dis "pause". Évidemment je suis piteuse : je me dis que je reçois tant et que je me permets d'être aussi absente et égoïste. Pourtant grâce à ces expériences, j’ai intégré cet aspect de la miséricorde de Dieu.
La Miséricorde de Dieu, un mot qui peut paraître difficile à comprendre de façon personnelle. Quelle est votre expérience de la Miséricorde ?
Dans mon couple avec Dieu, je crois en sa miséricorde. Le mot est compliqué mais il reflète une image très précise pour moi: quand je descends les escaliers de mon cœur, tout au fond, il y a une cuisine. Avec une table. Et le Christ est là, toujours, à préparer le repas, quel que soit l'état dans lequel j'arrive. Soit Il va continuer sa tâche, soit Il va s'arrêter, m'accueillir et me servir une bière. Et j’ai confiance, même si je ne descends pas, Il est là. Aucune de mes pauvretés n’est durablement grave parce que Jésus sera toujours là.
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