Rencontre à haut risque pour le Pape le 22 novembre dernier. Avant l’angélus du mercredi, François a tenu à rencontrer des familles d’otages du Hamas ainsi que des Palestiniens. Une rencontre nécessaire pour témoigner de la sollicitude du Pape à l’égard des victimes du Hamas et de la guerre qui sévit à Gaza, mais qui doit maintenir la neutralité du Saint-Siège, lequel ne prenant parti ni pour Israël ni pour les Palestiniens, mais pour la paix et la concorde en Terre sainte. Un message difficilement audible dans un conflit qui dure depuis plusieurs décennies où la part émotionnelle est forte.
Le choix des mots, potentiellement explosifs
Dans cette rencontre qui se voulait simple, le Pape écoutant et échangeant avec les personnes présentes, tout détail était sujet à chausse-trappes et incompréhension potentielle. Ainsi du temps dévolu à la rencontre, qui devait être le même pour tous afin de ne pas donner l’impression de favoriser un camp par rapport à l’autre. La nécessité aussi que les deux parties ne se croisent pas, ce qui obligea à organiser les échanges dans deux salles différentes, mais proches pour que le Pape puisse aisément aller de l’une à l’autre. Le choix des mots, aussi, potentiellement explosifs. D’autant plus explosifs que la question de la langue utilisée est cruciale, le Pape s’exprimant en espagnol quand ses interlocuteurs parlaient anglais ou arabe. Or un mot peut avoir une signification plus ou moins forte dans une langue, un concept peut être mineur dans un espace culturel et majeur ailleurs.
Difficulté aussi pour des rencontres qui sont privées, mais dont l’existence et la teneur fuitent, les rendant de facto publiques. Comme l’a exprimé une participante israélienne : "Le Pape est très respecté dans le monde musulman, dans le monde juif ; quand il parle, le monde écoute." C’est à la fois un bel hommage rendu à la diplomatie vaticane, mais aussi une lourde responsabilité placée sur les épaules d’un homme dont chaque mot est commenté et interprété. Ainsi, plusieurs participants palestiniens ont dit avoir entendu le Pape prononcer le terme de "génocide" pour qualifier la guerre à Gaza, ce que les services diplomatiques du Saint-Siège ont nié.
Tenir l’équilibre
Sur le dossier de Gaza, comme dans beaucoup d’autres, le Saint-Siège est en position d’équilibriste. Il ne veut pas donner l’impression de soutenir un camp en particulier, mais chacun lui reproche de ne pas en faire assez pour lui et donc de soutenir l’autre camp. Une grande importance est accordée à la diplomatie du Saint-Siège, parfois trop eu égard à son influence réelle, si bien que les parties prenantes attendent aussi beaucoup du Pape, comme si un discours, un mot, une intervention pouvait régler des problèmes anciens et souvent insolubles. Une situation qui n’est pas nouvelle.
Le Saint-Siège est un État souverain, qui a sa propre diplomatie et ses propres objectifs.
Durant la Première Guerre mondiale, Benoît XV était "le pape boche" chez les Français et un pape français chez les Allemands. Pendant la Guerre froide, Paul VI était présenté comme "l’aumônier de l’Occident" chez les Soviétiques mais comme trop proche de l’URSS chez certains mouvements américains. Si bien qu’il fallut attendre la présidence de Ronald Reagan pour que les États-Unis établissent des relations diplomatiques officielles avec le Saint-Siège, après une intervention personnelle du président des États-Unis.
Assad ou Poutine ?
Le pontificat du pape François n’échappe pas à cette critique. Quand, en septembre 2013, il s’est opposé à une intervention militaire en Syrie, les mouvements anti-Assad l’ont présenté comme un affidé du régime de Damas et un soutien de la Russie poutinienne. Quand, à l’automne 2022, il a évoqué "les aboiements de l’OTAN" aux portes de la Russie, d’aucuns y ont vu un soutien à la Russie contre l’Ukraine. Quand enfin, il négocie un traité de bonne entente entre Rome et Pékin, cela est parfois présenté comme une reconnaissance de la Chine communiste contre Taïwan. Quoi que dise le Pape, cela convient rarement à l’ensemble des partis, chacun trouvant qu’il ne défend pas assez ses intérêts.
C’est oublier que le Saint-Siège est un État souverain, qui a sa propre diplomatie et ses propres objectifs. Il n’est pas là pour abonder dans le sens des États-Unis, de Moscou, de Paris ou de Pékin, mais pour défendre, d’abord, la liberté de culte des chrétiens dans le monde. Ensuite, il présente des principes aux États, des buts idéaux à atteindre, en sachant que la diplomatie doit s’accommoder de la réalité. Un État qui ne dispose d’aucun moyen de pression ne peut nullement contraindre ou imposer ses vues. Il ne lui reste que la parole, le travail en sous-main, les négociations discrètes. Le Pape parle, au balcon de Saint-Pierre ou dans la salle Paul VI, sa diplomatie agit, dans l’ombre et la discrétion. Ce n’est ni spectaculaire ni médiatique, mais c’est la seule condition pour que l’objectif de la paix puisse être atteint.