Que Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande mosquée de Paris, ait refusé de participer à la marche contre l’antisémitisme organisée le 12 novembre nous choque, mais nous incite à réfléchir. Chems-Eddine Hafiz est un homme qui aime argumenter. Le successeur de Dalil Boubakeur est juriste, avocat, auteur d’un livre remarqué publié au Cerf, L’Islam et les Droits de l’homme, livre dans lequel il s’essaie à l’exercice difficile de tracer la limite qui sépare la pratique quotidienne de l’islam du risque de la charia.
Il défend la raison, la liberté d’expression de Salman Rushdie et qualifie d’«infâme" la fatwa qui le frappe. Il rappelle que le port du voile islamique n’est pas une obligation figurant dans le Coran et tend à devenir "un uniforme islamiste", bref, qu’il est raisonnable de l’interdire dans l’espace public. Il explique qu’un musulman antisémite s’insulte lui-même. Pourquoi donc l’homme qui dit tout cela n’est-il pas allé manifester contre l’antisémitisme, au moment où le peuple juif était à nouveau l’objet d’une haine proprement diabolique ?
Contre l’insulte
Écoutons son argument : le recteur de la Grande Mosquée ne voulait pas marcher "aux côtés de personnalités qui passent leur temps à insulter les musulmans à la télévision, à répéter que l’islam est incompatible avec la République". Ne balayons pas trop vite cet argument. Chems-Eddine Hafiz n’est pas antisémite : pendant qu’il ne manifestait pas, il lançait un appel commun à la paix avec le grand rabbin Haïm Korsia et Mgr de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France. Il sait parfaitement que l’islam est le véhicule favori de l’antisémitisme d’aujourd’hui, comme le catholicisme a pu l’être en d’autres temps. Et il sait que, faute d’une théologie de l’Histoire et d’une unité de doctrine, ce n’est pas demain qu’un concile musulman pourra régler leur sort aux pulsions de haine qui inspirent certain imams. Mais il estime que l’insulte ne conduit jamais au progrès politique.
La réponse à l'antisémitisme n'est pas la haine de l'autre.
La dénonciation de l’antisémitisme ne nous oblige pas, nous chrétiens, à haïr les musulmans. C’est même notre marque de fabrique : nous essayons, ou plutôt le Christ nous commande, de ne jamais répondre à une haine par une haine symétrique. Lutter contre l’antisémitisme en cultivant la haine de l’autre, qu’il soit chrétien, musulman ou n’importe qui d’autre, est une offense à Celui qui nous a demandé : "Qui est ton prochain ?"
Différentes formes de racisme
À ignorer cette question, nous installons un combat durable entre différentes formes de racisme, manière implacable de faire prospérer la haine. Quand il a publié son roman Chien blanc en 1969, Romain Gary a annoncé de manière prémonitoire la mort de la discrimination raciale en Amérique, mais en même temps il a annoncé le péril que serait la naissance d’un racisme anti-Blancs. Son analyse incomprise sur le moment était en réalité prophétique : elle annonçait le wokisme avec un demi-siècle d’avance. La réponse à l’antisémitisme, pour nous chrétiens, ne sera jamais la haine de l’autre.