En charge du pilotage des travaux de reconstruction de Notre-Dame de Paris après son incendie, le général Jean-Louis Georgelin est mort accidentellement en montagne le 18 août 2023. Les obsèques du général ont eu lieu le 25 août à Paris, aux Invalides. Mais une autre messe a été célébrée le 31 août dans son village natal d’Aspet (Pyrénées) où il a été inhumé. C'est le père Romain Ghandour, aumônier des 3 et 8e régiments de parachutistes d'infanterie de marine (RPIMa) qui a accompagné la dépouille du général lors de son inhumation. Voici son homélie :
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
Telles étaient les premières et dernières actions de chacune des journées du général Jean-Louis Georgelin. Faire le signe de croix le faisait rentrer en relation avec Dieu et ainsi avec ses frères. Débuter ses journées et ses nuits par le signe de croix comme les commençait quotidiennement le général donne à nos pauvres existences mortelles la solennité et la révérence dont le but ultime est de servir et de nous rappeler la Trinité Sainte. Par ce geste unique, à la fois ample et profond, simple et respectueux, c’est toute notre vie chrétienne qui nous fait accéder à l’au-delà de nos existences.
J’ai rencontré le général Georgelin le 12 décembre 2012, aux alentours de midi, très exactement le jour anniversaire des 850 ans de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Les voix rocailleuses de Mgr Jacquin et du général échangeaient sur le tempo du gloria et du credo qui ne cessaient d’anticiper ou de retarder les grandes orgues que tous deux affectionnaient. Nous étions là, quelques séminaristes du diocèse aux armées.
Le général se retourna vers nous et nous dit : « « Il n’y a de grands parmi les hommes que le poète, le prêtre et le soldat. L’homme qui chante, l’homme qui prie et l’homme qui sacrifie et se sacrifie. Le reste est pour le fouet... » Vous aurez bientôt deux de ces qualités d’hommes, messieurs les aumôniers, il ne reste plus qu’à lire et vous cultiver un peu pour ne pas trop ralentir les orgues de Notre-Dame... ». Sachant que toute comparaison n’est pas raison, il voulait pouvoir allier en lui le poète, le prêtre et le soldat. Il apprit rapidement à manier les arts du poète afin que ses armes de fin stratège puissent toucher les âmes que seuls les vrais chefs, les bons prêtres et les grands artistes aiment élever vers le ciel.
D’ailleurs, pour tous ceux qui le rencontraient sans être très avertis, nous avions du mal à savoir si ses paroles étaient destinées à nous instruire, nous élever ou nous réprimander. Sûrement un peu des trois puisque lorsque l’on n’a plus rien à prouver, ni gagner, ni envier, on ne se prend plus au sérieux, on s’attache à rapprocher nos âmes et nos cœurs de Celui que nous ne pouvons pas tromper : qui n’est pas l’autre mais le Tout-Autre.
J’ai appris par la suite dans mon cheminement grâce à un ami marin, que cette citation était de Baudelaire. J’en ai déduit que leur vie durant, votre frère, votre oncle, notre ami et camarade travaillait à faire grandir le poète, le prêtre et le soldat. Non comme trois personnalités en une mais comme trois fonctions propres complétant son cœur d’homme et de chrétien au service de son Dieu et de son pays.
Le poète d’abord dont la voix et l’accent chantent la grandeur des choses de Dieu. « Mon jeune ami, dit-il à un jeune gendarme qui montait la garde, ne vous ai-je pas offert une croix ?
Si, si mon général elle est là… ». Il ouvrit son col bien serré de garde républicain et le général de répondre : « Eh bien, faites-la bénir par ce jeune prêtre pour qu’elle soit signe de votre salut ».
Je me rappelle aussi que le jour du décès de sa maman à Percy, il me demanda de pouvoir réciter ensemble différents psaumes et cantiques de deuil : le Miserere, le lux aeterna, in paradisum...
Je lui répondis que n’ayant ni mon bréviaire ni internet, cela me serait sans doute difficile car je ne les connaissais pas par cœur... Sans relever ma réponse incertaine ni aucun support, il se mit à les réciter pieusement par et avec son cœur.
Homme de culture et de prière, il me demandait également pendant ses visites à l’hôpital la manière dont je me préparais à éduquer mes jeunes militaires dans la foi, les auteurs et les poètes que je leur faisais lire. Je lui ai mentionné que beaucoup d’entre eux ne lisaient pas, ne se parlaient pas, sans cesse accaparés par leurs téléphones portables, préférant regarder des vidéos Tiktok ou jouant aux cartes contre l’ordinateur plutôt qu’avec leurs camarades. « Eh bien faites des vidéos mon jeune ami, ils vous écouteront, donnez-leur des conseils de tarots et ils vous écouteront ».
L’art de s’adapter était une grande qualité du général. Un souvenir me revient en mémoire : pour les préparatifs de l’enterrement de sa maman, il me fit entrer dans l’ancienne chapelle de l’Élysée devenue depuis lors son bureau. Apprenant que je partais prochainement pour le Burkina Faso, il fit immédiatement le lien avec le dernier prêtre qui disait régulièrement la messe dans cette chapelle, le père François de Gaulle, missionnaire en Haute-Volta. Il connaissait parfaitement sa vie et une multitude d’anecdotes, bien plus précisément que sa biographie Wikipédia !
Doté d’un grand sens de l’humour, il faisait sourire et même souvent rire le président de la République. Je pense au jour où m’introduisant en haut de l’escalier d’honneur de l’Élysée, il dit tout haut : « Un prêtre catholique présent dans le cœur de la république laïque, que c’est rare ! » Puis, ému et gêné, il ajouta : « Monsieur le président, je ramène à l’Élysée un prêtre pour qu’il puisse exorciser tous vos soucis. L’exorcisme est peut-être excessif, une prière suffira... » et nous avons continué la visite.
De fait, le général aimait les prêtres. « Savez-vous que je suis prêtre », me dit-il un jour ? - Non je l’ignorais, je croyais que vous étiez général... », ai-je osé lui répondre. Il fallait lui témoigner considération et caractère. Comme pour jouer au tennis, il faut être deux, et le général appréciait la répartie. Sur ces paroles, il m’expliqua en détails sa compréhension du sacerdoce baptismal qui l’obligeait moralement et humainement à prier et se sanctifier pour le monde ; à gouverner et reconstruire les biens matériels et spirituels de l’Église, notre mère ; à éduquer et fortifier la foi de tant de chrétiens qui ne connaissaient plus leur catéchisme.
Ainsi lors d’un thé accompagné de douceurs - car le général, qui n’aimait pas la bière, goûtait avec des pâtisseries - il m’avoua qu’en 1968, jeune lieutenant, il se posa la question de la vocation sacerdotale. Il m’en parla avec une vive émotion. Ainsi que de ces importants changements dans l’Église et la société, de cette époque de fébrile quête intellectuelle. Un temps en outre où il était interdit d’interdire, où tant de prêtres abandonnaient leur soutane et leur sacerdoce ou pour qui l’engagement était trop incertain, où tant de fidèles avaient été obligés du jour au lendemain de communier dans la main… Il s’inquiétait pour les jeunes prêtres, désolé de léguer une situation marquée cinquante ans plus tard par un effondrement du nombre de sacrements et de vocations.
De la profondeur du bréviaire. Il me demandait quotidiennement lorsqu’il rendait visite à sa maman à Percy si je l’avais bien dit. « Mon général, vous savez j’avais beaucoup de patients à voir aujourd’hui, etc. ». – « Mon jeune ami, vous savez, le cardinal Richelieu lui-même disait son bréviaire. Et il avait des responsabilités plus importantes que les vôtres je crois. Si vous ne mettez plus de carburant dans votre auto, elle n’avancera pas très longtemps. » Il connaissait la priorité du prêtre pour avoir vu très jeune, vers l’âge de 10 ans, ses premiers aumôniers au Prytanée de la Flèche, d’authentiques hommes de prière.
Il était donc devenu soldat, pour rendre sacrées et extraordinaires les choses les plus simples, servir en se sacrifiant pour des idéaux. Il fut homme d’ordre et de discipline. Rapidement après la prise de commandement de sa compagnie, son chef de corps lui reprocha d’avoir trop puni ses hommes en si peu de temps. Le jeune capitaine rappela alors qu’il était aussi celui qui avait fait le plus de demandes de félicitations, affirmant qu’avant qu’un cheval ou un soldat puisse avoir confiance en son chef, il faut l’aider à se passer à la fois de la cravache et de la carotte.
L’amour, la paix, la sécurité, la défense du bien commun, la protection du plus faible et du plus petit qui ne sont ni innés ni gratuits attirent de manière toute particulière le cœur du militaire chrétien. Dieu lui-même a une préférence pour les pauvres, les humbles, les malades, les délaissés.
« Je n’ai jamais vu de si grande foi chez un homme en tout Israël » dira Notre Seigneur au centurion qui lui demande la guérison de son fils (Mt 8,10).
Mieux que quiconque, le militaire, sait que la paix loin d’être durable, se situe toujours dans un état d’instabilité entre deux guerres, deux drames, deux morts. Telle est sa raison d’être, le but pour lequel il travaille, s’entraîne, se bat. Il fait la guerre à la guerre afin de sauvegarder la paix et la sécurité. Montrer sa capacité à faire mal, très mal même, n’est que le moyen pour dissuader et défendre.
Plus que quiconque, le militaire sait que donner sa vie pour son pays, lieu de ses pères, pour sa patrie, lieu de sa naissance, n’est pas suicide ou accident mais sacrifice de toute une vie et ce quel que soit son grade. On appelle héros l’un de nos camarades qui tombe au champ d’honneur, n’en déplaise à certains. « Donner sa vie pour ceux que l’on aime »,
« Aime et fais ce que tu veux », voici des devises qui résument une vie bien remplie et qui demande miséricorde pour son âme.
Après avoir notamment, servi à l’Élysée, été CEMA, grand chancelier de la Légion d’honneur et du Mérite, responsable de la restauration de Notre-Dame, alors que je lui apprenais ma mutation à Castres, il me confia son pire souvenir du 18 août 2008, la mort de dix soldats français tués dans une embuscade en Afghanistan.
Date qui me laisse entrevoir en cet autre 18 août 2023, date de sa mort, la volonté de ne jamais oublier ceux qui sont tombés pour la France, ceux qui quittent leur famille et leur pays, ceux qui continuent jour après jour à défendre la veuve et l’orphelin comme disaient les chevaliers d’hier et nous l’espérons ceux de demain.
Prions et offrons des messes, des sacrifices et mortifications pour le repos de l’âme de Jean-Louis Georgelin. Que la miséricorde de Dieu Tout-Puissant lui offre le pardon de ses péchés et l’indulgence pour la vie éternelle.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
Amen.Padre Romain, aumônier des 3 et 8e RPIMa