On peut légitimement se demander pourquoi la messe est appelée "eucharistie", c’est-à-dire "action de grâce", "remerciement", de préférence à d’autres appellations qui lui auraient également convenu. En effet, la messe est aussi un sacrifice, un repas, un sacrifice de louange, d’ovation, d’adoration et même un sacrifice de demande. Dans ces conditions, pour quelle raison le nom d’"eucharistie" a-t-il prévalu ?
Dès le commencement du christianisme
En fait, cette dénomination n’est pas née au fil du temps de l’histoire de l’Église. Au contraire, dès le commencement du christianisme, les paroles consécratoires par lesquelles le célébrant changeait le pain et le vin au corps et au sang du Christ étaient déjà insérées dans une louange eucharistique. Le premier noyau du canon de la messe était constitué d’un hymne d’action de grâce qui sera fixé en différentes formules liturgiques. "Eucharistier" le pain et le vin était synonyme de les "consacrer". D’ailleurs, Jésus, le Jeudi saint, les yeux levés au ciel, rendit grâce au Père en instituant l’Eucharistie. Ainsi, la Tradition considéra-t-elle très tôt la messe comme une action de grâce. Mais pourquoi faire passer cette dimension de remerciement avant celles de sacrifice, de repas ou de communion ?
Le don de Dieu précède tout
Si le remerciement est le premier et le dernier mot du culte divin, c’est parce que nous devons tout à Dieu. Car pour L’adorer, pour Le louer, pour Lui demander et même pour recevoir davantage de Lui, il est nécessaire au préalable de reconnaître que Dieu nous a déjà donné beaucoup : l’être, le salut, mais aussi le désir de demander, de louer, d’adorer. Dieu nous précède en tout. Il nous a aimés le premier, avant même que nous ne venions au jour ! Même le sacrifice qui nous rachète et qui nous sauve est d’abord son œuvre et émane de Lui. C’est Lui qui nous donne son Fils qui se sacrifie pour nous. Tout ce que l’humanité accomplit de meilleur, elle le réalise par son inspiration et sa grâce — même si la collaboration de notre liberté est engagée dans ces œuvres.
Aussi est-il juste que cette reconnaissance se traduise par un remerciement à la fois dans l’ordre privé mais aussi dans le domaine public : c’est le culte. La messe devient dès lors le moment privilégié où s’exprime ce sentiment religieux. C’est donc en toute logique que les chrétiens ont appelé la messe « eucharistie ».
L’Eucharistie éternelle de Jésus
Cette dénomination est d’autant plus légitime que durant la messe, les fidèles communient à Jésus et s’unissent à lui de façon si étroite que le sacrement de l’eucharistie peut être comparé à une union nuptiale. À la messe, le chrétien ne fait plus qu’un avec le Christ. Or, celui-ci est d’abord le Fils éternel du Père qui se reçoit tout entier de Lui. Dans l’éternité, le Fils remercie le Père de l’avoir engendré. Si bien que l’être de Jésus n’est pas dissociable de cette disposition de remerciement envers Dieu qui constitue la substance de son être personnel filial et divin.
La communion eucharistique nous fait communier à la vie éternelle qui sera, quand le temps n’existera plus, une louange d’action de grâce à la miséricorde de Dieu.
En s’unissant au fils de Marie, ses disciples s’approprient son être eucharistique. Jésus les aide à dire « merci » de la meilleure façon dans l’adoration en esprit et en vérité, c’est-à-dire en dépassant le formalisme de la loi et des préceptes pour immerger ce « merci » dans l’amour le plus pur. Les chrétiens s’unissent à l’action de grâce éternelle du Fils pour tout recevoir du Père tout en Le remerciant par avance des dons à venir. Le disciple de Jésus entre ainsi dans les dispositions du Fils éternel.
Une préfiguration de la Jérusalem céleste
De la sorte, le disciple, simple créature, est toutefois propulsé dans l’eucharistie éternelle du Fils comme s’il transcendait les temps ! La communion eucharistique nous fait communier à la vie éternelle qui sera, quand le temps n’existera plus, une louange d’action de grâce à la miséricorde de Dieu. Dans la Jérusalem céleste, les sacrifices auront disparu. En revanche, subsisteront éternellement les chants d’action de grâce en l’honneur de la miséricorde divine. "Sans fin, Seigneur, je chanterai ton amour" (Ps 88,2). Voilà pourquoi la première appellation de la messe est "eucharistie".