La Contre-Réforme a produit tant de saints que certains ont sombré dans l’oubli, sinon chez eux. Tel Andrea Avellino, très grande figure du XVIe siècle catholique dont la vie donnée à Dieu dans une incessante quête de perfection plonge dans l’admiration. Lorsqu’il naît en 1521 à Castronuovo di Sant Andrea en Italie du sud, ses parents, lecteurs des romans de chevalerie, le baptisent Lancelot. Ce n’est pourtant pas vers le métier des armes que la garçon se dirige puisqu’il est ordonné prêtre, au terme de solides études classiques, en 1548.
La cléricature lui offre la possibilité de se spécialiser en droit canon et d’entamer une carrière d’avocat ecclésiastique mais, alors qu’il plaide devant le tribunal épiscopal la cause d’un prêtre, emporté par son désir d’emporter son procès, don Lancelloto profère un tranquille mensonge qui lui vaut la victoire, mais le plonge dans une crise de scrupule si forte qu’il décide de renoncer définitivement à sa carrière, et même à tout ce qui le raccroche encore au monde et ses périls. Il décide d’entrer chez les théatins, un ordre religieux fondé en 1533 par Gaétan de Thiene. Il y prononce ses vœux à Naples en 1558 et prend en religion le nom d’André, afin de marquer son amour de la croix.
Deux vœux particuliers
Aux vœux ordinaires, il décide ce jour-là d’en ajouter deux particuliers qui seront pour beaucoup dans sa réputation de sainteté tant ils sont exigeants et difficiles à tenir : combattre sans cesse sa volonté personnelle et tendre toujours à la perfection. Il se dote d’un programme de vie qui prendra toute son ampleur lorsque, dans les années suivantes, le père André arrivera aux plus hauts offices de l’Ordre : maître des novices puis supérieur de la maison de Naples, visiteur de la province de Lombardie, ce qui lui donne l’occasion, lors de ses séjours à Milan, de se lier avec Charles Borromée, puis visiteur de Campanie, ce qui le ramène dans sa région.
Ce programme de vie admirable devrait être celui de tout responsable, à plus forte raison ecclésiastique, et de tout confesseur, rôle dans lequel André excelle. En quoi tient-il ? Douceur et fermeté, imitation constante du Seigneur, tout voir, mais dissimuler beaucoup, ce qui est de bonne politique, corriger mais avec charité, ne jamais blesser autrui, ne jamais perdre une occasion de les mettre en valeur son prochain et de souligner ce qu’il a de meilleur.
Il pardonne à ses agresseurs
Preuve qu’André ne se paie pas de mots, lorsque son neveu, l’héritier sur lequel repose tous les espoirs familiaux, est assassiné lors d’une de ses vendettas dont le Mezzogiorno est trop souvent le théâtre, il réussit à convaincre les siens de ne pas répondre à la violence par la violence et, quand les coupables comparaissent en justice, il se fait leur avocat et plaide ardemment afin de leur épargner la peine de mort. Lui-même victime d’une agression qui lui vaut plusieurs coups de couteau au visage, il pardonne pareillement à ses agresseurs.
Malgré ses incessantes activités, André parvient encore à étudier, devenant un exégète fameux, un spécialiste reconnu de l’œuvre de saint Augustin, de celles de saint Jean Chrysostome, saint Bernard et saint Thomas d’Aquin. Il écrit, publie de nombreux ouvrages, entre autres de spiritualité, mais c’est au confessionnal qu’il demeure insurpassable, ne s’épargnant jamais quand il s’agit du salut d’une âme, jusqu’à arpenter les rues mal famées de Naples en pleine nuit si un mourant le réclame. L’une de ces sorties sera l’occasion d’un miracle éclatant qui marquera les témoins : alors qu’il vient de confesser un grand pécheur par une nuit d’hiver, André est surpris par une pluie battante et un vent si violent qu’il souffle les torches de son escorte. Ceux qui l’accompagnent se rendent alors compte, sidérés, qu’ils n’en ont pas besoin car du religieux émane une clarté si vive qu’elle éclaire comme en plein jour. Quant à l’averse, elle ne l’atteint pas, ni aucun de ceux qui l’entourent, qui rentrent au couvent sans avoir reçu la moindre goutte d’eau…
Encore ne s’agit-il que de l’un des prodiges qui parsèment son quotidien. On lui prête un don de prophétie infaillible et l’on dit que, lorsqu’il célèbre la messe, il n’est pas rare d’entendre au-dessus de l’autel, le chant ineffable des anges qui l’entourent… C’est à l’autel, d’ailleurs, qu’André s’écroule, le matin du 10 novembre 1608, alors qu’il chante l’introït de la messe : Introibo ad altare Dei. "Je m’avancerai vers l’autel de Dieu, du Dieu qui réjouis ma jeunesse." On a juste le temps de lui administrer les derniers sacrements avant qu’il rende l‘âme.
Deux jours après son trépas
Les circonstances de sa fin font qu’il est invoqué aussi bien pour préserver des AVC que de la mort subite, celle qui ne laisse pas le temps de mettre ses affaires en ordre avant de paraître devant Dieu, rôle dans lequel il a supplanté saint Christophe, et pour se voir épargner les affres et les souffrances de l’agonie.
À peine son décès annoncé, les Napolitains se précipitent pour toucher celui qu’ils tiennent déjà pour un saint, quand même sa canonisation officielle attendra 1712, et lui ravir quelque reliques. C’est ainsi qu’un maladroit ayant griffé le cadavre dans son empressement à lui arracher des cheveux, l’on s’aperçoit que, deux jours après son trépas, André laisse couler un sang frais qui, recueilli et placé dans des fioles, possède, à l’instar de celui de saint Janvier, patron du diocèse, la particularité de se liquéfier lors des ostensions. Si ce n’est pas le cas, l’on peut s’attendre à quelque désastre…