Lisieux, le 25 décembre 1886. En cette nuit de Noël, quatre silhouettes marchent silencieusement sur le chemin en pente menant à leur maison. Louis Martin, 63 ans, est encore plongé dans l’action de grâce de sa communion à la messe de minuit. Céline, 17 ans, et Thérèse, 13 ans, se pressent l’une contre l’autre. Léonie, 23 ans, se tient à l’écart, sombre. Son chapeau cache mal ses cheveux grossièrement coupés en rond, souvenir douloureux de son échec très récent de vie religieuse chez les Clarisses d’Alençon. Déprimée à tous points de vue, Léonie regagne sa petite chambre à l’étage pour s’engourdir de sommeil. Son père en est contrarié et, face à la cheminée, posant son regard sur les chaussures de Thérèse qu’il a fallu garnir de cadeaux comme pour un enfant, il soupire : "Enfin, heureusement que c'est la dernière année !..." Thérèse qui l’a entendu est blessée à vif. Elle voudrait, comme Léonie, courir se réfugier dans sa chambre. Mais soudain, elle fait volte-face et, refoulant ses larmes, ouvre joyeusement ses cadeaux.
Fragile et hyperactive
Thérèse a été touchée par la grâce. En cette nuit de Noël, Dieu lui rendu sa force et son courage. Elle est guérie du traumatisme de la mort prématurée de sa mère, qui la rendait hypersensible. Elle écrit : "... depuis cette nuit bénie, je ne fus vaincue en aucun combat, mais au contraire je marchai de victoires en victoires et commençai pour ainsi dire, “une course de géant” !" (Manuscrit autobiographique A., ACL). Jamais plus elle ne versera des larmes pour rien. Avouons-le, nous aimerions tous bénéficier d’une telle grâce, qui nous simplifierait la vie et nous permettrait enfin d’envisager la sainteté ! Hélas, nous restons entravés par nos fragilités, nos blessures intimes, nos traumatismes.
Léonie manque de mourir dès la naissance, et gardera toute sa vie une santé précaire, invalidée par des crises fréquentes d’eczéma.
Léonie aussi a avancé péniblement sur ce chemin, et pourtant, elle y a trouvé la grâce : son procès de béatification, ouvert en 2015 , est actuellement en cours ! Léonie est née en juin 1863. Elle est la troisième des neuf enfants de Louis et Zélie Martin. Elle manque de mourir dès la naissance, et gardera toute sa vie une santé précaire, invalidée par des crises fréquentes d’eczéma. Elle cumule toutes les maladies infantiles, ce qui retarde notamment son développement psychomoteur. À l’école, c’est la catastrophe : à 10 ans, elle comprend guère mieux ses leçons qu’un enfant de 3 ans. Petite, elle est hyperactive, très excitable, toujours à la recherche d’une bêtise à faire. En 1867, Zélie embauche une domestique pour l’aider. Louise Marais a 18 ans et semble dévouée et énergique. Or, elle s’est mis en tête de mater la fillette, et exerce sur elle une emprise qui deviendra de plus en plus violente et fourbe. À l’insu de ses parents, elle devient le bourreau de Léonie.
L’angoisse de Zélie
En 1870, la petite sœur immédiate de Léonie, sa compagne de jeu, Hélène, meurt brusquement d’une pleurésie. Léonie assiste à ses derniers instants. Ce deuil s’ajoute à celui de leurs deux petits frères, et sera suivi de celui d’une petite sœur. Les séparations seront toujours un traumatisme dans sa vie. En janvier 1873, la petite Thérèse vient clore la ronde des naissances. Arrive décembre 1876. Zélie se sait atteinte d’un cancer incurable au sein. Elle est très angoissée par l’avenir de Léonie, dont le caractère indiscipliné et boudeur est un mystère dans leur famille aimante. Sa fille aînée Marie lui dévoile en mars 1877 le martyre de Léonie. Zélie retrouve alors le chemin du cœur de son enfant terrible, qu’elle peut abreuver d’amour durant les cinq derniers mois de sa vie.
Petit à petit, Léonie apprend à ne pas être triste de sa faiblesse, mais elle l’accueille comme condition d’une réceptivité à Dieu
Après la mort de Zélie, la famille déménage à Lisieux, la jeune fille est scolarisée deux ans et demi chez les bénédictines de Lisieux, où elle trouve un accueil chaleureux et délicat. Elle en sort apaisée, mais reste marquée à vie par les blessures de son cœur. Son hypersensibilité la conduit à prendre des décisions parfois impulsives. Elle a toujours affirmé qu’elle avait la vocation, et ce, avant ses sœurs qui deviendront toutes religieuses. En 1886, elle profite d’une visite familiale à Alençon pour entrer par surprise chez les clarisses qui l’avaient connue enfant. Moins de deux mois après, elle en ressort couverte d’eczéma, avec des ganglions sous les aisselles, les cheveux coupés en rond qu’elle cache sous une mantille. Elle est trop déprimée pour s’apercevoir de la guérison de Thérèse à Noël.
Elle accueille sa faiblesse
Que deviendra Léonie ? Ses quatre sœurs entrent au carmel de Lisieux. Son père meurt en 1894. Après deux tentatives infructueuses à la Visitation de Caen, Léonie s’y stabilise enfin quinze mois après la mort dramatique et prématurée de Thérèse. On a souvent présenté Léonie comme un être fragile et torturé, mais qui, avec la découverte de la petite voie de sa sœur, a pu enfin s’apaiser. Son parcours n’est pas si linéaire. Son angoisse de fond, sa culpabilité d’avoir été une souffrance pour ses parents, la déchirure de vivre éloignée de ses sœurs, sa santé déficiente : elle portera ces croix toute sa vie. Or, petit à petit, elle apprend à ne pas être triste de sa faiblesse, mais elle l’accueille comme condition d’une réceptivité à Dieu, car "l’humilité, c’est la vérité", disait Thérèse.
Léonie nous rappelle cette grande vérité : Dieu nous aime le premier. Il n’attend pas de nous des œuvres magnifiques, mais un humble amour manifesté dans la banalité de notre devoir d’état. "La plus petite œuvre, la plus cachée, faite par amour, a souvent plus de prix que les grandes œuvres, a écrit Thérèse. Ce n’est pas la valeur ni même la sainteté apparente des actions qui compte, mais seulement l’amour qu’on y met, et nul ne saurait dire qu’il ne peut donner ces petites choses au bon Dieu, car elles sont à la portée de tous" (Conseils et Souvenirs).
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