Chaque matin, monsieur le curé se lève le cœur en fête. Il pousse des cris de joie ! Non ? C’est pourtant écrit dans son bréviaire : "Venez, crions de joie pour le Seigneur… Par nos hymnes de fête, acclamons-le !" (Ps 94, 1-2). En principe, ces mots du psaume "invitatoire" sont les premiers de la journée dans les presbytères, les monastères et les couvents de la planète. Au million bien tassé de religieux censés faire crépiter les louanges de Dieu, s’ajoutent, par centaines de milliers, les voix des fidèles qui célèbrent la liturgie des heures au moyen de leur livret favori ou de leur "appli" préférée. Eh bien ! Si tout ce beau monde criait de joie au saut du lit, ça se saurait…
Le commandement de la joie
Le problème n’est pas nouveau. Les prières matinales des premiers dominicains, dans les années 1220, n’étaient pas toujours plus toniques que les célébrations d’aujourd’hui. Saint Dominique — ce détail savoureux fut rapporté à son procès de canonisation — n’hésitait pas à traverser le chœur de l’église pour faire accélérer le tempo du chant quand les frères mollissaient ! Le tonus et la joie de vivre du saint homme sont passés dans la famille dominicaine. De cette gaieté, j’ai voulu recueillir quelques éclats dans Déjà brillent les lumières de la fête, en poursuivant l’exploration jubilante de l’Écriture et de la Tradition que j’ai commencée dans La Gloire des bons à rien (Cerf, 2022).
Nos contemporains, eux, ne manquent pas une occasion de nous dire combien l’Église — à tort ou à raison — respire la tristesse et l’ennui.
L’enjeu n’est pas si léger qu’il y paraît. "Ils disent et ne font pas…" Ce reproche de Jésus aux pharisiens, nous le déplaçons spontanément sur le terrain de notre vie morale, et nous avons raison. Pas de contre-témoignage plus navrant pour la mission de l’Église que ces incohérences entre ce que nous lisons dans les Écritures, ce que nous proclamons dans nos prières, et ce que nous mettons en pratique dans notre vie quotidienne. Mais qui irait se confesser d’avoir manqué au commandement de la joie et de la fête, alors que celui-ci revient à longueur de pages dans la Bible et les livres liturgiques ?
L’audace de la foi
On sera étonné d’apprendre, par exemple, qu’un dominicain du Moyen Âge considérait sa journée perdue s’il n’avait pas su se réjouir au moins une fois avec les frères ! Ou encore qu’un supérieur, au lieu de punir des novices qui avaient eu un fou rire pendant l’office, les encourageait à laisser éclater leur joie d’être sauvés. Laxiste, le révérend père ? Pas du tout ! Il s’agit du bienheureux Jourdain, le successeur de saint Dominique, qui fut béatifié en 1825.
Comme nous l’apprennent les saints et les mystiques, le "singe de Dieu" — le Diable — ne singe que des réalités qui ont de la valeur.
Nos contemporains, eux, ne manquent pas une occasion de nous dire combien l’Église — à tort ou à raison — respire la tristesse et l’ennui. D’où vient cette réputation ? Il y a bien des causes, sans doute. Les malheurs qui accablent l’humanité, notamment, n’épargnent pas la communauté chrétienne. Mais le poids des événements n’explique pas tout. Il faut forer plus profond dans la foi de l’Église et dans l’âme humaine pour mettre au jour des angoisses "pas très catholiques". Avec Jacques Maritain — qui ne passait pourtant pas pour un drôle —, nous devons dépasser nos réflexes religieux et avoir l’audace de la foi et de l’espérance surnaturelles. Dieu aime ses créatures d’un amour inconditionnel. Le croyons-nous vraiment ? Notre vie n’est pas abandonnée à un naufrage fatal dans les eaux du péché et de la mort ; celui qui nous a appelés à l’existence nous invite à une « immersion » — un baptême ! — dans sa vie éternelle et bienheureuse. L’espérons-nous vraiment ?
La fête nous précède
Certes, la fête est un sujet glissant. Comment en parler après que le philosophe Philippe Muray a croqué l’Occidental des années 2000 en "Homo festivus" ? Mais Festivus, lui aussi, est aimé de Dieu et appelé au salut ! Comme nous l’apprennent les saints et les mystiques, le "singe de Dieu" — le Diable — ne singe que des réalités qui ont de la valeur. Il ne s’attaquerait pas à la fête si les plaisirs qui l’accompagnent — manger, boire, jouer, danser, rire en heureuse compagnie — n’avaient aucune portée spirituelle. Démasquer les contrefaçons de la fête, dégager la foi des « croyances » toxiques qui empoisonnent parfois la vie chrétienne, c’est donc une étape nécessaire pour entrer dans la vraie fête, celle que Dieu nous offre, et que nos fêtes terrestres reflètent et anticipent… de façon plus ou moins réussie.
La Trinité est une fête – une danse, même, disent certains Pères de l’Église ! Cette festivité du Père, du Fils et du Saint-Esprit déborde dans la Création et dans l’histoire du salut.
Dès lors, en interrogeant les grands témoins de la foi — les Pères, saint Thomas d’Aquin, les mystiques rhénans, les saints du Carmel, le curé d’Ars, etc. —, nous pouvons (re)découvrir que la fête à laquelle nous sommes invités nous précède en Dieu de toute éternité. La Trinité est une fête – une danse, même, disent certains Pères de l’Église. Cette festivité du Père, du Fils et du Saint-Esprit déborde dans la Création et dans l’histoire du salut. Elle submerge le monde à venir : ce royaume que la résurrection de Jésus a inauguré, et dont la Bible compare le bonheur indescriptible à des noces et à un banquet sans fin. Pensons encore au vin de Cana et à l’ivresse de la Pentecôte ! Bref, laisser jaillir la joie du Ciel n’est pas une option pour un ou deux « ravis de la crèche ». Ce devrait être le mode ordinaire de la vie chrétienne ! L’Église est au service de cette allégresse. En cela, elle est probablement le plus remarquable « comité des fêtes » !
Pratique :