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La distraction, une qualité ou une calamité ?

DISTRACTION
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Jeanne Larghero - publié le 20/10/23
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Il y a les bonnes et les mauvaises distractions, fait remarquer la philosophe Jeanne Larghero. Savoir se distraire ou savoir accepter ses distractions peut être le signe d’une saine vie intérieure.

Distraction de celui ou celle qui perd ses clés, ses lunettes, ses tickets de parking et  tout ce qui lui est passé par les mains à un moment de la journée. Distraction de celui qui oublie une réunion, arrive à son rendez-vous la veille ou le lendemain, qui découvre que tout le monde l’attend, avec un air de tomber de la lune… C’est énervant ! mais ne tombons pas trop vite sur l’enfant, l’ami, la compagne ou le mari distraits. 

Certes on connaît le sort que réserve Blaise Pascal au divertissement : cette incapacité à aller habiter les profondeurs de l’âme, et qui nous jette à perpétuellement à l’extérieur de nous-même. "Tout le malheur du monde vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre" écrit-il au fil des Pensées (n. 4/7). Nous nous inventons des distractions pour éviter de penser et d’affronter le monde de l’âme. Ainsi y a-t-il dans la distraction que nous déplorons en nous-même ou qui nous agace chez les autres, quelque chose qui tient à cette tendance à vivre à la surface de nous-même : ce qui est entendu d’une oreille sort de l’autre, rien ne reste gravé, rien ne vient toucher la mémoire ou creuser le cœur car tout nouveau sujet d’intérêt chasse le précédent sans jamais susciter de véritable attention. Acceptons alors la critique de Pascal qui nous invite à reconnaître que si notre distraction blesse, c’est en raison de cette superficialité qu’elle manifeste. 

Dieu aime, connaît et cherche à visiter tout ce que nous sommes, nos soucis ménagers ou financiers ne lui sont pas indifférents, il a eu une mère qui elle aussi avait des repas à préparer !

Cependant Platon raconte une célèbre anecdote, celle du savant Thalès qui, plongé dans ses pensées profondes et sa contemplation des astres, omit de regarder où il mettait les pieds et se retrouva au fond d’un puits (Théétète, 172c-177b). Nos distractions ne sont pas toutes des inconséquences : elles sont le révélateur d’une vie intérieure riche et présente qui vient souvent concurrencer la vie quotidienne. Nos oublis, nos maladresses, nos gaffes expriment alors la tension qui existe en chacun entre l’appel de la vie intérieure et les nécessités pressantes du moment présent. Le distrait est aussi cet ami précieux qui repasse et repasse toutes choses en son cœur. 

Faire droit au repos

Voilà pourquoi on ne combat pas notre propension à perdre nos clés ou à oublier le code de l’immeuble simplement à coup de to-do lists. On l’apaise en faisant droit à cette vie intérieure, en lui laissant large place, en sachant « demeurer en repos dans une chambre ». On l’apaise en créant un passage entre surface et profondeur. Et lorsque nous prions, si nos pensées parasites reviennent, si le menu de dimanche ou la date du tiers provisionnel viennent se placer entre nous et les mystères du rosaire, profitons-en pour leur accorder aussi un droit de cité : Dieu aime, connaît et cherche à visiter tout ce que nous sommes, nos soucis ménagers ou financiers ne lui sont pas indifférents, il a eu une mère qui elle aussi avait des repas à préparer ! Acceptons qu’il vienne aussi habiter nos préoccupations : ne les chassons pas comme des distractions, mais profitons-en pour les lui présenter sincèrement. Et probablement cesseront-elles de resurgir sous la forme d’actes manqués, tous ceux qui courent après nos clés nous remercieront au passage.

Alors, on danse !
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