Le Synode romain sur la synodalité de l'Église bat son plein à Rome dans un huis-clos relatif. Ce climat de discrétion a été souhaité par le Pape pour favoriser la liberté d'expression, l'écoute mutuelle et le recueillement parmi les membres de cette assemblée. Celle-ci comprend des évêques (dont 62 cardinaux), des religieux, des prêtres et des laïcs, hommes et femmes (de manière inédite, celles-ci sont 54 à participer à cette instance collégiale). Sur un total de 464 participants, 365 disposent du droit de vote. Dans ce chiffrage du corps électoral, on pourra voir un clin d'œil adressé au nombre de jours dans une année. Mais un autre chiffre est peut-être plus significatif : 96 de ces électeurs ne sont pas des prélats. Ce sont là des innovations, loin d'être marginales, depuis l'institution du synode permanent en 1965 par le pape Paul VI.
Un Pape politique
Ces nouveautés, ajoutées à d'autres considérations sur le style et les orientations du pontificat actuel, alimentent actuellement un débat public, longtemps entretenu à mi-voix, sur le caractère et la pensée révolutionnaires de l'homme qui dirige l'Église. Deux livres parus récemment en France et en Belgique posent la question : François est-il révolutionnaire ? Les réponses apportées par leurs auteurs, le vaticaniste du Figaro, Jean-Marie-Guénois, et le journaliste belge, Emmanuel Van Lierde sont néanmoins subtilement divergentes.
Si le Pape semble animé par une urgence réformatrice, c'est moins pour des raisons d'agenda personnel ou même pour rattraper le temps perdu, que parce qu'il est convaincu que ni le statu quo ni le retour en arrière ne permettront à l'Église de retrouver l'audience et l'intérêt des mentalités contemporaines.
Le premier, auteur de Pape François, la révolution (Gallimard), est, on le sent, marqué par une situation ecclésiale française plutôt tendue, dépressive et cherchant la martingale qui pourrait la faire rebondir. En François, il voit un pape foncièrement politique. Ce dernier est sans conteste un homme de Dieu, un maître en exercices spirituels digne d'admiration. Mais, souligne Guénois, en faisant une allusion claire à la devise héritée de la Révolution française, ce pape jésuite veut repeindre l'Église dans des couleurs la rendant plus libérale (sur la morale), plus égalitaire (moins cléricale et plus baptismale) et plus fraternelle ou démocratique (par la décentralisation et la synodalité). En cela, François est révolutionnaire et peut décontenancer, choquer même des fidèles exprimant des préoccupations liturgiques (la forme extraordinaire du rite romain), doctrinales et morales (la bénédiction de couples homosexuels). Aussi, en déduit le journaliste du Figaro, François a clivé les catholiques et laissera après lui une Église plus divisée et anxieuse que celle qu'il avait trouvée en succédant à Benoît XVI il y a dix ans.
Un Pape continuateur
Emmanuel Van Lierde, l'auteur belge de Le Pape François. Le révolutionnaire conservateur (Éditions jésuites) est plus nuancé et moins politique que son collègue français. Il met l'accent sur le fait qu'à l'évidence François a réenclenché le processus réformateur lancé par le concile Vatican II. Une dynamique sur laquelle, estime-t-il, ses deux derniers prédécesseurs avait plutôt mis la pédale douce. François serait en ce sens un continuateur plutôt qu'un révolutionnaire. À moins d'assimiler Vatican II à une révolution ! Ce que ne manquent pas de faire des catholiques pour qui ce concile ressemble à une arête de poisson difficile à avaler.
La question "François est-il révolutionnaire ?" soulevée par ces deux ouvrages, qui proposent au fond des analyses différentes mais comparatives et complémentaires, ne peut se satisfaire de réponses binaires.
Si le Pape semble animé par une urgence réformatrice, c'est moins pour des raisons d'agenda personnel ou même pour rattraper le temps perdu, que parce qu'il est convaincu que ni le statu quo ni le retour en arrière ne permettront à l'Église de retrouver l'audience et l'intérêt des mentalités contemporaines. Le synode est ainsi une étape décisive aux yeux de François pour convertir l'ensemble des catholiques à la nécessité vitale de réformer leurs styles de vie et leurs institutions. Pour Van Lierde, cette "révolution culturelle", impulsée par ce pontificat, sera difficile à contenir.
Un temps de conversion
La question "François est-il révolutionnaire ?" soulevée par ces deux ouvrages, qui proposent au fond des analyses différentes mais comparatives et complémentaires, ne peut se satisfaire de réponses binaires. Ou alors on court le risque de circonscrire un moment de l'histoire de l'Église dans un périmètre purement idéologique, faisant abstraction de toute autre interférence possible, d'ordre spirituel notamment. Or, on ne le dit peut-être pas assez aux nouvelles générations, le concile Vatican II n'a pas été qu'une agora réformatrice, elle a été aussi un temps fort de conversion personnelle et collective. D'extraordinaire fécondité aussi, comme l'a rappelé la veillée de prière œcuménique introductive au synode, préparée par la communauté de Taizé : ce "petit printemps de l'Église" qu'avait prophétisé le "bon Pape" Jean XXIII.