Parmi les romans de rentrée, il en est un qui affiche une ambition et un talent qui pourraient lui garantir un succès durable, si l’on veut bien considérer que le succès durable peut à l’occasion couronner l’ambition et le talent. Il s’agit de Humus (Éd. De l’Observatoire), de Gaspard Koenig. Ce livre raconte deux vies parallèles : les deux vies de deux hommes de la jeunesse déracinée d’aujourd’hui. Arthur et Kevin sont étudiants à AgroParis Tech, sur le plateau de Saclay. Ils ne connaissent comme Dieu que la planète et comme catéchisme que la casuistique savante du développement durable.
Par les vers de terre
L’un est un bourgeois, il rêve de retour à la terre. L’autre vient du peuple : la pauvreté ne cesse de le fuir. De l’amour, Arthur et Kevin ne connaissent que l’érotisme morne et mécanique ; du don de soi, que l’égarement ; des femmes, que des filles volatiles et perdues. Arthur le bourgeois et Kevin le plouc ne croient à rien, n’espèrent rien, n’attendent rien, mais ils sont intelligents : état désespéré. Ils jettent ensemble leur dévolu sur une idée neuve : le "vermicompostage", la régénération de la terre par l’usage des vers de terre. Les vers de terre seront pour chacun d’eux, et chacun à sa manière, un moyen de jouer un rôle, d’exister dans un monde qu’ils aiment par devoir.
Le roman raconte leur histoire sur un ton parfois houellebecquien (mais aucun romancier ne se hasarde sans risque à se mesurer à Houellebecq) et parfois balzacien. De la description du campus de Saclay, rien ne nous est épargné. De la manière de lever des fonds, non plus. Ni de la technique consistant à fabriquer du terreau avec des vers de terre. L’ensemble est assez impressionnant, même si l’on est davantage convaincu par la description du monde urbain cosmopolite que par celle des campagnes confinées. En tout cas, le roman réussit parce que nous finissons par y croire. Le plus merveilleux dans un roman réussi, c’est que même sans être dupe, nous croyons ce qu’il dit. Nous croyons ce que dit Humus.
Une nouvelle religion
Et comme ce roman raconte l’histoire d’une nouvelle religion, l’écologie, il se termine logiquement par une guerre de religion. Il commence dans les amphithéâtres ; il finit sous les bombes. Pourquoi le lire ? Pour mesurer l’abîme que nous prépare — et déjà nous inflige — le monde privé de transcendance qui triomphe partout. Comme nous voudrions que la Christ doux et humble de cœur se révèle aux héros malheureux de ce livre !
Pratique :