Le soleil chauffe déjà les pavés de la place Saint-Pierre à 7h samedi matin quand surgit la première "bandera", célèbre tête de Maure qui rend le drapeau reconnaissable parmi tant d’autres. Le consistoire ne commence que dans trois heures, mais ils sont nombreux, venus de l’île de Beauté en bateau et car, à s’être pressés dès potron-minet afin d’être assis en bonne position.
Maxime, un des six séminaristes du diocèse, attend patiemment devant l’entrée pour distribuer les précieuses invitations aux retardataires. "C’est un moment très important, personne ne veut le manquer". Après avoir attendu près de deux heures au pied de l’obélisque, il gagne sa place quelques minutes avant le début du consistoire. Là, il se retrouve assis par hasard à côté de Dagner, un séminariste guatémaltèque qui fait ses études à Rome, et en profite donc pour échanger en espagnol. Un peu plus loin, l’abbé Roger-Dominique Polge, curé de Propriano, a trouvé une des dernières chaises du premier carré situé au pied de l’autel. "Notre évêque fait un très bon travail, il est respecté et apprécié. Cela n’a pas toujours été aussi facile pour ses prédécesseurs", confie-t-il, alors que commence la cérémonie au chant du "Tu es Petrus" de Palestrina.
Pour la première fois, Mgr Bustillo apparaît au bout d’une longue procession, accompagné des 19 autres cardinaux désignés. Il est revêtu de la soutane à mozette couleur sang, et va s’installer sur la droite de l’autel devant lequel a pris place le pape François. Le pontife nomme alors les hommes appelés à devenir cardinaux : le nom de l’évêque de Corse provoque une clameur remarquable. Plus tard, celui-ci se voit remettre la barrette - chapeau -, l’anneau cardinalice et le titre de sa paroisse. Sur la place, toute la délégation se lève pour acclamer son pasteur : "Evviva i nostru cardinali !", s’écrie un homme dans la foule.
Après le consistoire vient le temps traditionnel des visites de chaleur, temps de rencontre pendant lequel tout le monde peut aller saluer les cardinaux fraîchement élus. Devant les inscriptions latines et grecques de la Galerie lapidaire, le président de l’exécutif de Corse Gilles Simeoni, venu féliciter le nouveau cardinal, tient à saluer l’importance de cet événement pour les habitants de son île, quelques jours seulement après que le président de la République française a ouvert la porte à son autonomie. Le leader autonomiste a décrit son évêque comme un héraut du "respect de la diversité et de la quête inlassable de l’unité".
"J’espère que le Saint-Père, dans sa prière appelant à la symphonie, à l’harmonie et à l’unité sera entendu", abonde Marie-Antoinette Maupertuis (Femu a Corsica). Elle témoigne avoir vécu "cette messe intensément, en partie dans la prière parce que je suis pratiquante, mais aussi dans la fierté quand j’ai entendu les cris du peuple corse et nos drapeaux se lever".
Après les représentants politiques, une partie de la délégation qui a patienté parvient à retrouver son cardinal, qui accepte avec plaisir les embrassades, les discussions et les nombreuses photographies. "On le voit beaucoup, mais jamais en rouge comme ça !", confie une membre du diocèse, un grand sourire aux lèvres.
Étape à Saint Chrysogone
Dans l’après-midi, une partie de la délégation tient à se rendre dans la basilique Saint Chrysogone, l’église des Corses à Rome, située dans le quartier du Trastevere. Comme Jean-Baptiste Arena, vigneron et membre de la confrérie Saint-Martin à Patrimonio, ils sont nombreux à être venus pour chanter la messe dans cette église, à la stupéfaction de quelques touristes américains de passage.
Marie-Dominique, une paroissienne de Vescovato en Haute-Corse présente dans l’assemblée, souligne l’importance symbolique du lieu, où sont encore enterrés des membres de la Garde corse papale, un corps militaire qui servit les pontifes au XVIIe siècle - et fut chassé après un incident diplomatique avec les Français. "On a retrouvé des écrits attestant d’une présence corse depuis 1068", rapporte-t-elle, après une visite des catacombes de l’église.
Messe pontificale aux Saints Apôtres
L’ensemble de la délégation corse s’est retrouvée dimanche matin pour une messe pontificale d’action de grâce dans la basilique des Saints Apôtres, église des franciscains conventuels à Rome qui avait été choisie au dernier moment pour remplacer l’église prévue initialement en raison de la forte influence. Pas une place n’était libre sous les fresques colorées de Luigi Fontana et de Giovanni Odazzi quand l’évêque de Corse est entré en procession, porté par les "Evviva Maria" chantés par les confréries.
Avant de commencer la cérémonie, le cardinal a tenu à remercier sa mère et les membres de sa famille venue de sa Navarre natale, ses frères cordeliers de Padoue, mais aussi les quelques représentants de Narbonne, où il a ensuite passé près de 25 ans, et ceux de Lourdes. Enfin, il s’est tourné vers son peuple de Corse : "Quelle aventure merveilleuse, auprès de vous", a-t-il affirmé. En Corse, il s’est réjoui de découvrir "chaque jour un potentiel unique pour avancer et pour grandir ensemble".
L’évêque a remercié aussi le cardinal corse Dominique Mamberti, "l’ange" qui lui avait annoncé en premier sa nomination cardinalice. Puis, s’exprimant en Corse, il a encouragé tous les Corses à "avancer ensemble pour construire une Corse sereine, libre, heureuse".
Rapporter cette joie en Corse
Plus tard, dans sa brève homélie, le cardinal franciscain a exhorté les membres de l’assemblée à la "cohérence" et à "aller à l’essentiel". "Vivez l’amour : notre société, notre Église, a besoin d’amour", a-t-il martelé, leur demandant de faire passer le message du Christ "des oreilles au cœur". "Le Seigneur nous pousse […] à vivre la liberté de l’Évangile", a-t-il conclu, enjoignant à être "courageux".
"J’aimerais que la clameur de joie entendue place Saint-Pierre se transpose jusqu’à la Corse."
Le cardinal a aussi confié à l’assemblée avoir rencontré le pape François dans la matinée avant la messe, et que ce dernier avait remarqué les cris de son peuple lors du consistoire. "J’aimerais que la clameur de joie entendue place Saint-Pierre se transpose jusqu’à la Corse, s’installe chez nous, pour que nous vivions une nouvelle étape où la Corse construit une société pacifique, heureuse, où les aînés transmettent leur expérience, où les jeunes apportent leur force et leur fraîcheur, et ensemble, que nous bâtissions un patrimoine puissant pour construire un avenir meilleur". Des paroles accueillies par un tonnerre d’acclamations et de vivats.
À l’issue de la cérémonie, rythmée par les puissants chants polyphoniques des confrères, le cardinal s’est rendu sur le parvis ensoleillé de la basilique. Là, entouré de son peuple chantant encore et encore des hymnes à la Vierge, patronne de l’île, il a multiplié les embrassades et les photographies avec les siens, ces derniers semblant peu pressés de gagner les cars ou les avions qui devaient les ramener au pays dans l’après-midi.