C’est un des griefs que le pape François fait le plus souvent à notre génération : nous sommes globalement pélagiens… Qu’est-ce à dire ? Pas sûrs que tous soient au fait de cette vieille querelle théologique entre saint Augustin et le moine breton Pélage au début du Ve siècle… Sans entrer dans les arcanes de ce conflit, disons que le moine Pélage mettait unilatéralement l’accent sur les capacités humaines, oubliant à la fois que la nature humaine avait été blessée par le péché originel, que la grâce de Dieu était nécessaire pour le secourir et que cette grâce nous est venue par Jésus-Christ. C’est bien la tentation de notre époque.
L’homme est toujours victime du péché avant d’en être l’auteur et le complice. Il en va comme de ces personnes droguées qui sont à la fois victimes et coupables.
Tout d’abord, l’oubli du péché originel. On croit, par exemple, que les seules conditions économiques sont à l’origine de la violence sociale et qu’il suffit de déverser sur nos cités, comme une eau baptismale, des milliards pour que les émeutes s’arrêtent et que la paix civile s’installe. Cette naïveté marxisante méconnaît que le cœur de l’homme est blessé et malade. Contre un certain rousseauisme du bon sauvage, il faut rappeler que tout être humain naît déjà corrompu… Le dogme du péché originel est très déculpabilisant. Il rappelle que l’homme est toujours victime du péché avant d’en être l’auteur et le complice. Il en va comme de ces personnes droguées qui sont à la fois victimes et coupables. C’est l’hôpital plus que la prison qui leur convient. Nous devons être l’objet de la miséricorde de Dieu avant d’être l’objet de sa justice.
La méconnaissance de la grâce
Ensuite, la méconnaissance de la grâce. Après tout, se dit-on aujourd’hui, les institutions humaines soutenues par les progrès de la technique nous permettront de nous en sortir par nous-mêmes. À quoi bon le recours paresseux à l’aide divine ? On a vu les catastrophes générées par toutes ces attitudes pieusardes qui d’une manière irresponsable attendaient tout du Ciel… C’est là sans doute un fait nouveau : les crises que l’Église traverse appellent non seulement la mise en place de solutions humaines de saine prudence, mais risquent aussi d’apporter avec elles une certaine défiance face au recours au surnaturel et à l’aide de la grâce…
Jésus-Christ réduit à un maître de sagesse
Enfin, la réduction de Jésus-Christ à un maître de sagesse. La plupart de nos contemporains se reconnaissent volontiers dans les "valeurs de l’évangile". Ils admirent en Jésus ce vieux maître oriental porteur d’une sagesse millénaire. Comme Pélage, ils estiment que le Christ nous a laissé un beau modèle à suivre, mais rien de plus : à nous de nous débrouiller avec ça. Ils oublient que Jésus n’est pas que le colporteur de valeurs inspirantes mais le Fils de Dieu de qui nous recevons grâce sur grâce (Jn 1,16). Vivre en chrétien ce n’est pas suivre le message du Christ mais vivre en communion avec le Messager, vivre en Christ, tout recevoir de sa plénitude !
L’efficacité de l’action portée par la grâce
Toutes ces déformations rabougrissantes rendent nécessaire de renouer avec la position subtile et équilibrée de saint Augustin. Le grand Docteur de la grâce rappelle que le Seigneur donne ce qu’il ordonne. Il nous commande d’aimer, mais il nous donne l’amour. Il nous veut saint, comme Lui-même est saint, mais il nous revêt de sainteté. Il nous ordonne de prier sans cesse, mais il nous donne l’Esprit qui intercède pour nous par des gémissements ineffables. Il ordonne, car quelque chose est requis de notre part. Il donne pour que nous puissions accomplir cette part attendue de nous. L’Écriture dit : si le Seigneur ne bâtit la maison, c’est en vain que peinent les maçons ; si le Seigneur ne garde la ville, inutile que veillent les sentinelles (Ps 127,1). Il n’est pas dit que les maçons peuvent se tourner les pouces puisque le Seigneur s’occupe de tout. Il n’est pas conseillé aux gardes de s’assoupir puisque de toute façon le Seigneur est là ! Certes non ! Mais l’action des maçons et des gardes ne prend d’efficacité que portée par la grâce prévenante du Seigneur.
Ainsi tout attendre de Dieu, ne nous dispense pas d’œuvrer mais permet la fécondité de nos efforts. Inversement travailler avec sérieux ne rend pas superflue l’intervention de la grâce qui porte et couronne notre action. Alors ? quel équilibre entre confiance en Dieu et sage disposition humaine ? Dans le livre Le Penchant de la grâce, je livre mon pastis personnel, un peu pagnolesque : en toutes choses, trois tiers de confiance en Dieu et un tiers de prudence humaine !
En pratique :