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Un air de rencontre dans le catholicisme français

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Benoist de Sinety - publié le 03/09/23
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Une manière de vivre sa foi "à l’africaine" dans nos églises vient de plus en plus souvent interroger notre manière de croire "à la française". Pour le père Benoist de Sinety, curé de la paroisse Saint-Eubert de Lille, ce constat permet de montrer qu’il y a un avenir possible autre que dans la violence et la guerre mémorielle.

Parmi les lignes de clivage qui fracturent notre société et qui nous somment de nous opposer les uns aux autres en fonction de nos sexes, de nos générations ou de nos émotions, il en est une qui semble prospérer comme un tsunami annoncé, que rien ne pourrait endiguer : celle qui met en regard l’homme noir et l’homme blanc. Le fait même d’employer ces termes suffit souvent à clore tout débat. Quel débat d’ailleurs puisqu’il semble n’y avoir d’un côté qu’une victime et de l’autre qu’un bourreau ? La victimisation est aujourd’hui la condition de toute affirmation identitaire : en son nom il faut renoncer à toute idée d’alliance, de rencontre, d’échange. Elle réduit en fait celui qui s’en revêt à devenir un éternel "être en colère" sans paix possible, sinon dans l’anéantissement de l’autre. Et encore, cet anéantissement laissera la place à la recherche d’un autre coupable. Telle est la soif inextinguible de toute victimisation : trouver des boucs émissaires sans qu’aucun sacrifice ne puisse éteindre ni la colère ni le désir de se faire justice.

Des mémoires reformatées

À force de se repaître d’une culture américaine qui dénonce, à juste titre, les violences inouïes qui furent faites à l’homme noir par l’esclavage et les lois qui suivirent son abolition et qui maintinrent des discriminations violentes pendant un siècle, à force de dénoncer la violence dont il est encore victime — violences de la pauvreté, de l’éducation et à la fin de la police — on instille aux enfants européens et singulièrement français, l’idées que cette histoire est aussi la leur. Les séries, les réseaux sociaux et tout un discours assez inculte mais paresseusement démagogique ancre ce sentiment au plus profond des cœurs et des mémoires reformatées. 

C’est peut-être cela dans le fond qui nous rend si fragile devant les reproches et les attaques de l’Histoire : contrairement aux Britanniques, nous avons voulu croire que nous pouvions allier profit économique et développement des peuples.

Une mère de famille d’une quarantaine d’années, née en Côte d’Ivoire, me disait récemment combien elle avait du mal à convaincre ses adolescents qu’en France, les lois n’étaient pas faites contre les Noirs. Les propagandes, américaine autrefois, puis désormais russe ou chinoise sur le continent africain sont de plus en plus, et grossièrement, anti-européenne et surtout anti-française. Sur cette terre gorgée de richesses naturelles indispensables à notre technologie et à notre enrichissement, il est de bonne guerre de se faire concurrence et de discréditer les puissants d’hier.

Les reproches de l’Histoire

Et nous nous retrouvons assez perdus dans cette tempête que nous ne maîtrisons pas faute d’avoir accepté de reconnaître un passé colonial qui reste, quoiqu’on puisse en dire, une faute morale. Faute promue ô combien sur le plan politique par les prédécesseurs de ceux qui la dénoncent le plus aujourd’hui. Faute qui se parait de moralité en prétendant d’abord porter aux indigènes les lumières d’une civilisation remarquable, alors que l’on cherchait d’abord à s’en accaparer les ressources. C’est peut-être cela dans le fond qui nous rend si fragile devant les reproches et les attaques de l’Histoire : contrairement aux Britanniques, nous avons voulu croire que nous pouvions allier profit économique et développement des peuples. Tout en forant des puits et des mines, nous construisions des écoles et des hôpitaux. Car nous nous pensions civilisateurs et cela nous rassurait de ne pas être que profiteurs. Pendant que nos voisins de la Grande Île, moins scrupuleux, ne cherchaient pas dans l’éducation ou la culture à excuser leur désir d’enrichissement. Il est notable de constater qu’aujourd’hui, alors que l’ancienne Afrique coloniale française ne cesse de convulser son sentiment anti-français, celle qui fut britannique, adossée à un Commonwealth purement financier, ne reproche presque plus son passé à son ancienne tutelle.

Une manière de vivre sa foi "à l’africaine" vient de plus en plus souvent interroger notre manière de croire "à la française", au risque de nous déranger dans nos habitudes et dans nos pratiques.

Mais finalement, peu importe les raisons lointaines de tout cela, c’est la réalité qu’il nous faut regarder. Réalité qui risque fort de mettre en présence sur un même sol des citoyens d’un même pays qui, selon la couleur de leurs peaux, se sentiront de plus en plus opposés au risque de devenir vraiment ennemis. Dans ce contexte grave et inquiétant, nos communautés chrétiennes peuvent être prophétiques. Elles rassemblent une humanité diverse où Noirs et Blancs, notamment, se retrouvent et communient dans une même foi. Je vois bien des paroisses où les jeunes d’origine afro-antillaise plus ou moins lointaine font revivre des églises peuplées auparavant par des grands-parents sans descendance spirituelle. De nombreux prêtres, de nombreuses religieuses, venus de ce continent-frère assurent à ces paroisses le service éminent de leur prière et de leurs engagements, pour ne rien dire de la célébration des sacrements.

Dans une vraie démarche fraternelle

Une manière de vivre sa foi "à l’africaine" vient de plus en plus souvent interroger notre manière de croire "à la française", au risque de nous déranger dans nos habitudes et dans nos pratiques. Il y a comme un air de rencontre dans le catholicisme français, entre une vitalité existentielle et une ambition intellectuelle. Et il faut que cette rencontre se fasse. Sans concurrence mais dans une vraie démarche fraternelle qui consiste à se donner l’un à l’autre sans crainte du regard d’autrui, mais dans la joie de me montrer tel que je suis et d’accueillir l’autre tel qu’il est. C’est ainsi que nous permettrons à notre société de voir qu’il y a un avenir possible autre que dans la violence et la guerre mémorielle.

Ce sera aussi la meilleure manière de répondre à cette confidence que reçoivent de plus en plus de parents noirs de leurs enfants au retour de l’école : "Maman, Papa, pourquoi nous on est chrétiens ? Mes amis me disent que c’est la religion des Blancs..." Pourquoi ne pas confier à la prière des saints et saintes nés en terre africaine comme Monique, Augustin, Joséphine Bakhita ou même Maurice et sa légion de martyrs thébains, cette inquiétude et ce désir que nous soyons artisans de paix en commençant par nous reconnaître d’abord comme frères ? Afin que nos discussions, nos échanges et nos désaccords ne nous entraînent jamais au-delà de ce que la charité nous oblige à vivre.

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