À la frontière entre l’Eure et le Calvados, Pierre, Alma et Antoine traversent la Chapelle-Gauthier, Orbec, Saint Germain-la-Campagne et s’immergent dans le pays d’Auge. Avant chaque porte-à porte par lequel ils mendient, les pèlerins demandent à l’Esprit saint de les conduire, selon les désirs du moment : "rendre service", "réjouir une personne isolée", "trouver un repas copieux", "dormir au sec"… Les cœurs fluctuent cadencés par la répétition des pas.
Lorsqu’ils prient pour recevoir un abri « rustique », un agriculteur leur offre une toile de tente et une omelette au lard. Lorsqu’ils acceptent une recherche "ardue", ils sonnent à de nombreuses maisons sous la menace d’un orage, avant de trouver enfin un logement. Lorsqu’ils veulent une "rencontre costaude", le Ciel les envoie vers un jeune d’une centaine de kilos.
Toujours exaucés
Après une nuit plus rude qu’à l’accoutumée, les marcheurs confient à saint Joseph, à leurs anges gardiens et à Côme, un ami récemment rappelé par le Bon Dieu, leur prochaine étape. Ce soir-là, ils désirent tous trois du "luxe" et du "témoignage". Leur triple accord apparaît si soudainement qu’aucune divergence n’émerge. La pauvreté radicale vécue par les Apôtres eux-mêmes paraît distancée.
Pourtant, à la sortie d’une forêt aux allées cavalières, le trio descend un vallon et se retrouve à l’entrée d’une propriété de très bon goût. Alma s'élance dans l’allée bordée de vases Médicis. Des lapins, une oie et des moutons semblent vivre ici en harmonie avec leur maître. Après quelques minutes d’émerveillement, la sonnette de la maison principale est atteinte, en vain. À la cloche ne répond qu’un silence ponctué de bêlements. L’équipage repart, déçu.
Notre prière est entendue parce que Dieu lui-même la suscite. Il donne ce qu’Il fait désirer.
Soudain, une berline allemande bondit du portail principal puis s’arrête net, à leur niveau. La vitre fumée avant-droite descend. À brûle-pourpoint, Antoine ose : "Nous sommes pèlerins et mendions un toit ou un repas". La passagère hésite, regarde le conducteur, et tranche : "Vous aimez les plats Thaï ?".
Après un tour complet du propriétaire, un généreux verre de Spritz, un cocktail d’été, orange vif, servi sur une montagne de glaçons les attend. "Ici, c’est la France, pas de Prosecco, que du Champagne !". Les tables reposent sur une pelouse verte délimitée par un bief de briques rempli de poissons rares. L’accueil de qualité se prolongera jusqu’à 2h du matin par un dîner, des parties endiablées de baby-foot, une nuit molletonnée, puis un petit-déjeuner continental. Le cœur de la démarche des missionnaires-apprentis n’en est pas oublié pour autant : les pèlerins bénissent le repas, notent les intentions de prières, témoignent de leurs parcours de foi et de vie avant de repartir, allégés du poids de quelques médailles offertes.
D’où viennent les semailles ?
À peine le portail franchi, les pèlerins entonnent l’Ave Maria. Leur manière à eux de rendre au Ciel ce qui leur a été confié pour un temps. Une fois le chapelet terminé, le débat s’ouvre : "Pourquoi est-on toujours exaucés depuis trois jours ? Même lorsqu’on demande l’impossible : du luxe en pleine campagne !", fustige Antoine. Alma répond d’un éclair : "Notre prière est entendue parce que Dieu lui-même la suscite. Il donne ce qu’Il fait désirer". Leur débat ne franchira pas les portes d’une théologie de non initiés mais leurs intuitions témoignent de leur écoute attentive de l’Esprit saint qui semble souffler en abondance depuis leur départ, lundi, à l’aube. De même, "le plus intime" des désirs de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, "le plus grand de tous", qu’elle pensait ne "jamais voir se réaliser […] Jésus daigna l’exaucer.