La presse française s’est largement fait écho des excavations entreprises de concert par l’INRAP (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives) et le Service archéologique départemental d’Indre-et-Loire, et pour cause : grâce à elles, réémerge un pan d’histoire que l’on croyait à jamais perdu. Celui d’une grande institution monastique particulièrement florissante durant le Moyen-Âge, connue jusqu’ici au travers de sources textuelles uniquement.
Une histoire par les archives
Les archives mentionnent une première occupation humaine sur le lieu-dit de "Belmons" à partir de l’an 845. La position de cette petite butte naturelle, préservée des crues fréquentes du Loir et située aux portes de la ville médiévale de Tours, favorise en effet l’implantation d’un village. Une chapelle dédiée à "Notre-Dame des Miracles" y est ensuite attestée ; le caractère sacré de ce lieu explique sans doute qu’il ait été choisi pour l’établissement d’un monastère de religieuses suivant la Règle de saint Benoît, dès le XIe siècle. L’ordre bénédictin, dans ses branches masculine et féminine, est alors solidement ancré dans tout l’Occident, contribuant à forger sa culture et son identité.
Les religieuses de Beaumont se retrouvent bientôt à la tête d’une vaste abbaye, entourée de terres cultivées, de prairies, de vignes et de vergers ; elles y assurent, à l’instar de tout autre institution monastique, des activités hospitalières, médicales, éducatives, etc. Au XVIe siècle, l’on recensait une soixantaine de consacrées. Les effectifs décroissent progressivement jusqu’à la Révolution. Confisquée en 1790 par les commissaires de la République qui en chassent les religieuses, l’abbaye est rasée puis transformée en carrière, ses biens sont dispersés. C’est ainsi que s’efface la plus importante communauté religieuse de Touraine.
Au XIXe siècle, l’hôpital Bretonneau se porte acquéreur des lieux et les transforme en un jardin potager destiné à nourrir ses patients. Les fondations de l’ancienne abbaye ne seront dès lors plus visibles et cela, pendant 170 ans. En 1913, l’État français achète le terrain et y installe une caserne militaire. Celle-ci est entièrement détruite en 2019 pour faire place à un nouveau quartier d’habitations dans le centre de Tours. Mais l’importance des vestiges redécouverts à cette occasion impose la tenue de fouilles scientifiques : une aubaine pour les archéologues, qui se voient offrir la possibilité d’explorer et étudier, en une seule fois, la totalité d’une abbaye. Un fait inédit en Europe.
Ce que révèlent les pierres
Le travail des archéologues a permis de dégager l’intégralité du site de l’abbaye, qui s’étendait sur plus de 6 hectares. Les vestiges mis au jour dessinent un ensemble parfaitement structuré, comprenant les plans d’une église abbatiale ainsi que d’une petite chapelle absidale intégrée dans ses murs – il s’agit probablement de "Notre-Dame des Miracles" –, d’un cellier donnant sur les cuisines, du réfectoire, de la salle capitulaire, de l’hôtellerie, d’un cloître et de sa galerie.
Plusieurs débris de porcelaine de Chine, manifestement coûteuse, confirment le statut social privilégié d’une grande partie de la communauté. Selon Philippe Blanchard, archéologue de l’INRAP et responsable des fouilles, l’abbaye comptait, entre le XVIe et le XVIIIe siècles, une trentaine de sœurs dites "de chœur", c’est-à-dire de noble extraction – la plus illustre d’entre elles fut Henriette Louise de Bourbon-Condé (1703-1772), petite-fille de Louis XIV et de Madame de Montespan. Placées là très jeunes par leurs familles, elles y bénéficiaient d’une éducation de très haute qualité – les abbayes furent, pendant longtemps, les hauts-lieux du savoir et de la culture – , avant de se dévouer aux tâches spirituelles. Les autres sœurs, dites converses, issues de couches plus modestes de la société, se consacraient quant à elles aux nombreuses activités matérielles nécessaires au fonctionnement de l’abbaye – service, cuisine, ménage, agriculture.
Espaces funéraires
L’on en distingue trois: le premier date des IXe-Xe siècles – soit avant l’abbaye –, le second, paroissial, remonte au XIIIe siècle, et le troisième correspond à l’établissement monastique des XIe-XVIIIe siècles. Leur fouille mobilise une grande partie du temps des archéologues, qui estiment le nombre total de sépultures à plusieurs milliers – aussi bien de religieuses que de fidèles locaux. Elles sont en effet partout et s’entremêlent : sous le sol de l’abbatiale, du cloître ou de la cour d’accueil. Les premiers résultats montrent que les modes d’inhumation sont variés et évoluent selon les époques – simples planches de bois, sarcophages en calcaire, cercueils en bois ou caveaux. Des traces de vêtements liturgiques ou de nappes d’autel, ainsi que des pots à encens, sont présents dans les tombes des XIIe-XVe siècles. Dans celles des XVIIe-XVIIIe siècles, on y trouve plutôt des objets de piété – perles de chapelets et croix en os –, des médailles et des pièces de monnaie.
Tombe après tombe, strate après strate, pierre après pierre : les sous-sols de Beaumont récompensent la patience des archéologues en restituant, dans toutes ses dimensions – sociologique, économique et spirituelle –, le passé d’un lieu de foi et de labeur, de vie et de mort. Et il est certain que l’abbaye de Beaumont, témoin d’âges aujourd’hui disparus, a encore beaucoup à dévoiler.