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[REPORTAGE] Chez les Capucins, quatre “Me voici” retentissants

Les frères Antonio, Marie-Nicolas, Sylvain et Yves (de gauche à droite) sont bénis par l'évêque, Mgr Pierre-Yves Michel. A Paris, le 1er juillet 2023.

Claire Riobé - publié le 03/07/23
Les frères Antonio Adnane, Yves Ligneau, Marie-Nicolas Vanacker, et Sylvain Besson ont fait leur profession solennelle dans l’Ordre des Frères mineurs Capucins ce samedi 1er juillet 2023. Un moment d’émotion et de joie pour ces compagnons contemporains de saint François d’Assise.

"Ce que l'on dit de quelqu'un rend difficile de le voir", écrivait Christian Bobin. Ainsi, on ne devrait pas trop en dire. Il est pourtant de certaines personnes, et de certains moments, qu'il faut tenter de raconter. Essayons pour cela de tendre l'oreille. Tentons de percevoir, au-delà de l'excitation de la fête qui se déroule en ce samedi 1er juillet à l’église Saint-Jacques du Haut-Pas, toute la profondeur de l'engagement se jouant sous nos yeux. Plissons les paupières, et regardons par-delà la foule, les caméras et l'encens. Attrapons, à travers la joie et la solennité du rassemblement, quelque chose de la grâce qui travaille le cœur de ces frères, rejoignant l’Ordre des Frères mineurs Capucins. Petit miracle du don de Dieu.

Folie pour le monde

Exceptés les vœux définitifs d’un frère l’année dernière, quinze années ont passé depuis la dernière profession solennelle d'un Capucin en France. Quinze années, durant lesquelles l'Église s'est transformée, perdant toujours un peu plus de ses serviteurs, se confrontant à divers scandales aujourd’hui connus de tous. Aussi, l'engagement de ces quatre hommes d’âge et de parcours si différents à renoncer à la vie du monde, et à marcher à la suite de François d'Assise, étonne. À certains, il semble même pure folie. Ce choix, pourtant, ne se prouve pas. Il s'éprouve, comprend-on instinctivement devant les profès qui remontent gravement la nef de l’église. Ces vœux définitifs sont une évidence, une réponse à un appel d'amour ressenti pour certains il y a de cela des années. Ils sont aussi renoncement : à soi-même, à ses propres projets, à sa volonté. 

Être serviteur

C’est un aboutissement, et c’est un commencement. Hier, ils rêvaient peut-être d'une carrière, d'une famille, de voyage. Aujourd'hui, ils ont trouvé plus grand que leurs rêves, ils ont touché du doigt la vie en abondance. Ils promettent l'obéissance, la pauvreté et la chasteté. Et connaissent bien sûr la longueur du chemin, son étroitesse parfois, ses embûches et ses racines. Mais cette vie, où la vulnérabilité se laisse traverser en communauté, ils la choisissent librement. Si librement. Un mystérieux trésor y réside, comprend-t-on en les regardant.  

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Moment de la prostration, dans l'église Saint-Jacques du Haut-Pas, à Paris, le 1er juillet 2023.

Tout tient peut-être dans cet hymne, "Le serviteur", doucement entonné par les chanteurs dans les bas-côtés de l’église, avant le rite de la profession. "S’abaisser au rang de serviteur, c’est répondre à l’appel du Seigneur. Devant Dieu le Père, il n’est rien de plus cher qu’une vie donnée pour servir ses frères." Cette promesse, c’est celle de se dépouiller pour servir la société et le monde, en frères mineurs. C’est se faire petit et changer de centre de gravité : non plus soi-même, mais le Christ. 

« Me voici »

Vient ensuite l'appel tant attendu, au pied de l'autel. Le "Me voici", que l’on entend quatre fois résonner dans l’allée silencieuse. Puis la prostration, où l’Église du ciel et de la terre suspend son souffle. Ce qui se passe alors dans le secret de ces quatre cœurs, nous ne le saurons jamais. Le commencement est là, dans le silence de Dieu. Devant ces hommes allongés en croix, une émotion se laisse pourtant saisir, difficilement contenue depuis l'assemblée. "Et moi, se demande-t-on, suis-je digne de cette vie dont ils font l’offrande ?"

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Les frères profès avec le Ministre provincial des Capucins de France, Frère Eric Bidot, à Paris, le 1er juillet 2023.

Arrive enfin ce geste, les mains jointes des frères dans celle de leur Ministre provincial, frère Éric Bidot. Un signe de confiance extraordinaire, qui réaffirme l’engagement symbolique de la vie d’un homme pour sa communauté. Peu de paroles s'échangent, mais elles donnent ce qu'il faut de vérité pour que nous en saisissions l'essentiel. 

Vivons-le : vivons la grâce qui nous est donnée d’être des vivants !

Ne reste alors plus que la joie, débordante et contenue à la fois. On se lève, on chante, on s’embrasse en riant. Ils le savent, et nous les croyons : le meilleur est à venir. "Vivons-le : vivons la grâce qui nous est donnée d’être des vivants !", lance l’un des quatre en souriant. Et nous, nous essayons de tendre l’oreille, de plisser les paupières, de percevoir. Cet engagement est peut-être une folie, oui. Il n’en reste pas moins un témoignage puissant d'espérance et de confiance, dans ce monde qui a tant soif de Dieu.

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