Ed White fut choisi pour être le premier parce qu’il incarne l’honnête homme. Né le 14 novembre 1930, scout et officier de West Point, ingénieur aéronautique, pilote de chasse, mais surtout père de famille et chrétien méthodiste pratiquant, il représente l’ "all-american" héros de son époque. Le 3 juin 1965, il est le premier Américain à réaliser une sortie extra-véhiculaire dans l’espace, expérience risquée mais qu’il trouve exaltante. Il met dans sa poche trois symboles religieux : la croix, l’étoile de David et la médaille de saint Christophe, celle qu’avait envoyée le pape Jean XXIII à chacun des 16 astronautes en 1963.
Mais il n’est pas le premier homme : le Soviétique Alexeï Leonov l’a fait dix semaines avant lui. Pour ce cosmonaute, une démarche religieuse analogue à celle de White aurait été inimaginable, non qu’on prête à Leonov le mot attribué par les autorités soviétiques à Gagarine "Je suis allé dans l’espace mais n’ai pas rencontré Dieu", mais par impossibilité dans une superpuissance athée : "Il est difficile d’exercer notre métier sans avoir la foi. Un cosmonaute qui se rend en orbite doit savoir que tout ira bien. Aujourd’hui [contrairement à l’époque soviétique], il est possible de recevoir la bénédiction d’un prêtre, de se rendre dans une église, et beaucoup le font" dit-il des décennies plus tard (cité par Russia Beyond). Libre de ses gestes, Ed White, lui, ne s’en est pas privé.
La tragédie de la mort d’Ed White avec son équipage ne peut être sous-estimée. Le 27 janvier 1967, à Cape Kennedy, les astronautes d’Apollo 1, Virgil « Gus » Grissom, Edward H White et Roger B Chaffee, qui se préparent à aller sur la Lune, meurent brûlés vif, lors de manœuvres d’essai, d’un feu causé par un court-circuit dans leur capsule remplie d’oxygène pur. Cet accident tragique a retardé d’un an et demi le programme lunaire américain. Malgré son remariage, la femme d’Ed White se suicide des années plus tard en 1983. En 1969, son frère James s’engage comme pilote dans l’espoir de rejoindre à terme le programme spatial comme son aîné qu’il admire, mais il est porté disparu lors de la guerre du Vietnam.
La mort de l’équipage d’Apollo 1 fait prendre conscience de toutes les insuffisances matérielles du programme et amène à leur rectification exhaustive en vue des prochaines missions. Comme le résument les vulgarisateurs de L’Esprit Sorcier : "révision complète du matériel et des mesures de sécurité, évitant probablement d’autres catastrophes par la suite". De fait, dans les missions Apollo ultérieures, malgré le caractère périlleux et expérimental de l’aventure spatiale, aucun astronaute ne trouve plus la mort. En particulier, l’équipage d’Apollo 13 en avril 1970 rentre par miracle sain et sauf sur Terre malgré une avarie de fusée dans l’espace. Le plus redouté des drames – celui de mourir seul et loin de sa Terre – a ainsi été évité. Ce retour sain et sauf fut relié aux intenses prières lancées quand les astronautes étaient perdus dans l’espace. À la mort d’Ed White, l’aumônier John Stout, marqué par la mort de son proche fidèle, avait en effet décidé de créer l’Apollo Prayer League pour prier pour tous les hommes allant dans l’espace. Protection mystérieuse d’Ed White et de ses camarades décédés ? Une telle lecture spirituelle est renforcée par ce surprenant autre petit miracle, qui apporta beaucoup de soulagement aux proches du pilote disparu : exactement 50 ans après la mort d’Ed White, en 2017, le corps de son frère James a pu finalement être identifié puis rapatrié, après 7 ans de recherche dans les jungles denses du Laos. Quelques fragments attestés seulement mais assez pour être enfin enterré auprès des siens et à côté de son frère astronaute.
Porté par le deuxième homme à avoir marché sur la Lune
Au 50e anniversaire d’Apollo 11, Buzz Aldrin, le "cow-boy de l’espace" qui a marché sur la Lune avec Neil Armstrong, honoré en son gala, rend, lui, hommage à un homme : Ed White, celui qui l’a appelé à rejoindre la carrière d’astronaute à West Point. Son affection transparaît aussi sur ses réseaux sociaux, un demi-siècle après leur dernière rencontre: "Ed White était mon meilleur ami à West Point. Nous avons servi ensemble dans l’US Air Force et il est la raison pour laquelle j’ai rejoint la NASA". Chaque année, il écrit aux disparus d’Apollo 1 un hommage. "Ils étaient de vrais patriotes. Leur sacrifice ultime nous a rendu encore plus déterminés à mettre pied sur la Lune. Nous ne devons jamais les oublie" lit-on sur son compte Facebook pour les 55 ans de la mort des trois hommes. Cette année encore : "Nous nous souvenons d’eux aujourd’hui, puisqu’ils ne sont pas morts en vain."
Le Révérend Stout, se souvenant du désir d’Ed White de prendre la Bible pour son grand voyage spatial à venir, lança le projet de transporter des Bibles microfilms sur la Lune, ce qu’Apollo 14 fit en 1971. Mais le protégé d’Ed White, Buzz Aldrin, a eu une meilleure idée. White a senti « la présence de Dieu » dans l’espace ; Buzz Aldrin a apporté Jésus sur la Lune. Parachevant sans forcément s’en rendre compte la démarche symbolique initiée par son mentor qui porta, dans le vide de l’espace, la Croix du Christ et l’image de celui qui porte le Christ, Saint Christophe, Buzz Aldrin prend le Christ lui-même dans les espèces eucharistiques. Il les glisse dans ses minuscules affaires personnelles, et communie, en présence de Neil Armstrong, à son arrivée sur le sol lunaire, les faisant devenir à jamais toute première boisson versée et nourriture consommées sur un autre astre que la Terre. Cet acte fort reste peu connu : la NASA est à l’époque mise en procès par l’athée militante Madalyn Murray O’Hair se plaignant des témoignages de foi précédents des astronautes – plus précisément, du choix des astronautes d’Apollo 8 en orbite autour de la Lune, premiers hommes à voir la Lune de près et un lever de Terre, de lire en direct le début de la Genèse à leur public record d’un milliard de personnes à Noël 68.
La NASA ne radiodiffuse donc pas la communion lunaire. Mais l’importance métaphysique de ce geste inspiré d’Aldrin – l’Eucharistie est petit pas de l’Homme vers Dieu et pas de géant de Dieu pour l’Humanité – continue à résonner dans l’univers et pour l’Histoire. Héritage invisible mais réellement présent du pionnier Ed White, comme le Dieu invisible dont ils ont affiché la réalité dans les cieux.