Née dans une famille d’artistes, Fleur Nabert hérite d’un grand talent artistique. À l’âge de 14 ans, elle découvre la sculpture. Un « don de la providence » qui à partir de ce moment-là ne la quittera jamais plus : la sculpture deviendra sa sœur d’âme, son refuge, son langage, sa façon de dialoguer avec Dieu. Elle découvre d’abord l’argile, puis s’initie au bronze, découvre l’univers de la fonderie et jeune femme, elle commence à réaliser du mobilier liturgique et à créer des vitraux. Plus tard, en 2020, elle dessine une ligne de bijoux avec de la résine, des pétales de roses et de la feuille d’or, avec ce même ancrage fortement chrétien. Qu’elle sculpte un autel grand format ou un bijou, pour Fleur Nabert « cela porte exactement la même espérance ».
Aleteia : Vous êtes sculpteur, créatrice d’icônes en verre et de bijoux chrétiens. Où trouvez-vous votre inspiration ?
Fleur Nabert : Je suis une grande contemplative, donc je m’émerveille de la création. C’est ma première vraie source d’inspiration. Je me lève souvent tôt le matin pour travailler et surtout pour être dans le calme. Je m’émerveille de la création dans un lever de soleil. J’ai la chance que mon atelier soit sur un toit : j’y ai redécouvert la beauté et l’immensité du ciel que l’on regarde trop peu en ville. Une autre source d’inspiration, ce sont les Évangiles. J’ai un grand amour pour l’évangile de Jean dont chaque parole est comme gravée dans l’immensité du monde. Elles disent le cœur de l’humanité. Et puis j’explore les mystères sacramentaux : j’ai un grand amour de l’Eucharistie.
L’inspiration pourra aussi varier si je fais quelque chose sur-mesure pour un lieu. On ne met pas la même chose dans une église du XIXe siècle en granit breton, dans une église gothique normande en pierre blonde, ou dans une église contemporaine d’acier à la Défense. Cette adaptabilité-là, je l’aime beaucoup. C’est une vraie vocation de service de faire de la sculpture liturgique. Si on sert la liturgie, on sert un lieu. J’aime me conformer à ce qui me semble être l’idéal pour un endroit, créer l’harmonie favorable au recueillement.
Comment est née cette idée de créer des bijoux chrétiens en 2020 ?
Au moment du confinement, mes chantiers de grands formats se sont arrêtés. Je me suis dit que je ne pouvais pas arrêter de travailler, c’était hors de question. Donc, très naturellement est venue l’idée de créer des bijoux, et encore plus naturellement qu’ils portent les symboles chrétiens. Un jour je me suis rendue compte que je n’avais pas une seule boucle d’oreilles qui ait du sens, qui me rappelle ma foi dans le quotidien, qui m’encourage dans ma vie intérieure. J’ai eu cette idée aussi parce que quand je fais un pèlerinage dans un sanctuaire, j’aime bien ramener un petit souvenir qui me rappelle le moment vécu, ou éventuellement un progrès spirituel, mais souvent je ne trouvais rien de bien.
J’ai donc commencé à travailler dans ce sens-là et puisque j’étais très liée à Sainte Thérèse et que j’avais des roses sur ce fameux toit pendant le confinement, j’ai travaillé avec des fleurs et j’ai fait des milliards d’essais. J’ai travaillé avec cette intuition très forte que les bijoux chrétiens pouvaient être féminins et jolis, créatifs et inventifs et enfin abordables. En plus, j’aime bien offrir une petite carte qui s’appelle « un bijou pour le progrès de l’âme ». C’est un memento, c’est-à-dire que les gens achètent un bijou pour se rappeler qu’ils se sont promis à eux-mêmes quelque chose. C’est une petite carte « de suivi » pour se dire : « voilà, j’avais cette intention-là, j’avais envie de progresser sur telle ou telle dimension de ma vie, je me suis offert ce bijou pour me le rappeler et pour voir comment ça évolue dans ma vie spirituelle »
Vous êtes épouse et mère de trois filles. Comment conciliez-vous votre vie de famille et votre vie d’artiste ?
Aujourd’hui, j’ai mes chantiers grand format que je gère seule avec des artisans d’art et le petit format bijoux et icônes pour lequel j’ai une équipe pour m’aider. Ce sont deux métiers assez différents, plus mon couple, plus mes enfants, qui sont encore petites. Il faut être hyper organisée, je n’ai pas le choix si je veux réussir à tout faire. C’est un peu difficile évidemment, et ça se règle avec quelque chose de très simple qui s’appelle « un horaire » : créer un planning solide et s’y tenir. Par exemple, si je veux du temps calme, c’est le matin avant que la maisonnée ne se lève. Charge à moi de voir à quelle heure j’ai le courage de me lever, mais je sais que ce temps-là est celui où j’aurai le silence profond que j’aime tant. En journée, place à tous les sujets de travail seule ou en équipe.
À 18h, c’est l’heure des enfants. C’est comme un train qui passe, il faut monter dedans, ne surtout pas essayer de caser du travail à cette heure-là, sinon c’est l’échec assuré tant sur le travail qu’avec les enfants. C’est moi qui tous les soirs fait « le tunnel du 6/9 » cette seconde journée dans la journée. J’ai fait le choix de ne pas rentrer tard tous les soirs - même si cela peut arriver quand j’ai une urgence et que je suis en train de faire des vitraux à Chartres, mais je refuse de rentrer tous les jours tard, je veux élever mes filles, être là pour elles. En tant que mère, en tant que femme, il faut identifier les choses qui marchent pour nous, pour les enfants et puis il ne faut plus les lâcher.
Qu’aimez-vous le plus au monde dans votre maternité ?
Serrer mes filles contre moi, c’est une étreinte d’amour dont j’ai l’impression qu’elle est l’éternité elle-même. Je suis très tendre comme maman, j’aime le contact physique. Mon bonheur c’est quand je peux leur dire le soir : « Fais-moi une petite place à côté de toi » et que je me glisse dans leur lit et qu’on câline. Alors là je suis la reine du monde, plus rien d’autre ne compte.
Quelle est votre astuce pour rester une épouse et une maman « de bonne humeur » ?
Je me demande si les choses sont vraiment graves. J’écoute beaucoup de podcasts – une bonne astuce de mère de famille - puisqu’il y a quand même beaucoup de rangement à faire tout le temps avec trois enfants en bas âge, et donc pendant le nettoyage, le ménage, les machines, je me cultive. Un jour, j’écoutais un podcast d’une américaine qui disait : « S’il vous reste douze mois à vivre, qu’est-ce que vous continueriez de faire, qu’est-ce que vous ne feriez plus, qu’est-ce qui vous énerverait et qu’est-ce qui vous énerverait plus ? » J’ai trouvé ça exceptionnel et je me pose régulièrement ces questions.
Pour rester une mère de bonne humeur, je cherche à être vraiment présente à ce que je fais.
Je continuerais assurément à créer, mais je ne m’énerverais plus contre les petits aléas de la vie. Une chose qui m’énervait par exemple était de recevoir des mails stressants à l’heure des enfants. Cela pouvait me tendre et risquer de me faire envoyer promener quelqu’un y compris un enfant ou mon époux. J’ai identifié la chose et depuis, je ne touche plus à mes emails quand je récupère mes enfants parce que je veux que rien ne puisse venir entraver notre relation. Je pose le téléphone en hauteur et je ne le touche plus. Pour rester une mère de bonne humeur, je cherche à être vraiment présente à ce que je fais.
Comment restez-vous connectée avec votre mari au quotidien ?
On s’est donné une règle quand on s’est mariés de ne jamais s’endormir fâchés. Il se trouve qu’on se dispute très très peu. En revanche, on peut être chacun dans son travail, et perdre un peu le contact à cause de cela, mais je cherche toujours à être attentive. On essaie de se tenir au courant de nos échéances importantes pour pouvoir se soutenir.
Et puis je suis pour faire régulièrement un dîner tous les deux, même un apéro et avoir un ou deux week-end par an tous les deux. On est sur la période où professionnellement on est au plein boom, avec des enfants en bas âge, on sait que c’est exigeant, spartiate. Ce n’est peut-être pas la période la plus reposante de notre vie, mais on fait face ensemble. Nous sommes très unis avec mon mari. C’est quelqu’un de très solide et on s’aime très fort.
Comment vous ressourcez-vous spirituellement ?
Je me ressource beaucoup dans l’Eucharistie. La Messe est vraiment un temps de méditation, sauf qu’il faut méditer parfois au milieu des filles qui se font rires les unes les autres, avec ma troisième qui est un clown né… L’idéal c’est la messe seule, ce que je ne fais assez peu parce que l’idée est quand même de leur faire vivre la foi. J’apprends donc à faire du « ressourcement minute » : chaque cinq minutes de vraie paix profonde est à prendre.
Et puis je me nourris de textes spirituels forts, je m’en inspire pour mes créations de bijoux qui sont toutes liées à une citation. Il peut y avoir un monde dans une phrase. Une phrase, c’est faisable même pour une mère de famille nombreuse. Une phrase qu’on approfondit vraiment, qu’on fait descendre au fond de son cœur et dont on essaie de vivre.
D’où vous vient cette foi et comment la transmettez-vous à vos filles aujourd’hui ?
C’est quand même relativement surprenant parce que je n’ai pas toujours eu la foi. J’ai reçu les sacrements sans trop y croire en toute honnêteté. Je ne l’ai pas toujours eue, j’ai même été assez contre à une période. Puis il y a eu différents moments de rencontres et la lecture de l’évangile de Jean qui est fondatrice chez moi. C’est exactement la même chose que les rivières souterraines que l’on ne voit pas forcément à l’œuvre. Mais à un moment, vous vous apercevez que la rivière a creusé un tunnel énorme, qui est devenu un fleuve, et qui a percé la montagne. C’est un peu comme ça la foi chez moi, c’est-à-dire que Dieu a pris une place immense dans ma vie.
Je dis à mes enfants que le travail de "Maman", c’est de regarder Dieu et de le représenter.
En même temps, j’essaie de vivre ma foi très simplement et de la transmettre à mes enfants, avec des mots très simples, des mots de leur âge. Je leur dis « oui, je crois en Dieu, je crois que les paroles de Jésus sont les plus belles paroles d’amour qui aient jamais été dites, je crois qu’Il est vraiment présent dans l’Eucharistie ». Je leur dis que c’est vraiment essentiel pour moi, et que le travail de "Maman", c’est de regarder Dieu et de le représenter, que d’une certaine façon c’est impossible, mais qu’on peut donner toutes ses forces pour en retranscrire une petite étincelle.
Quels saints vous aident dans votre quotidien d’épouse, de mère et d’artiste ?
Sainte Rita, saint Charles de Foucauld et puis sainte Thérèse de Lisieux. Je l’aime beaucoup pour deux aspects principalement : la force de ses paroles qui est réelle, c’est-à-dire qu’elle n’est pas du tout mièvre contrairement à certaines imageries du XIXe et aussi parce que c’est la sainte qui m’a le plus parlé de l’intercession et qui est vraiment active.
Pour conclure, avez-vous une citation qui vous inspire ?
Une citation que je suis en train de travailler : « Tout par amour, rien par force » de saint François de Sales. « Tout par amour » je le vis à 100% dans chaque chose que je fais, dans chaque œuvre, dans chaque création, dans chaque acte que je fais pour ma famille. « Rien par force », je force très rarement les autres mais je suis très exigeante avec moi-même. J’apprends à un peu me ménager. Je suis une passionnée, j’adore mon métier et donc je le fais avec une entièreté totale. Par exemple, je suis en train de faire le mobilier liturgique en verre pour la collégiale d’Eu, le lieu est tellement splendide qu’on a envie de donner jusqu’au dernier millimètre de force que l’on a pour servir un tel projet. Mais c’est aussi normal : retranscrire le divin est une tâche sublime et infinie, c’est l’enjeu et la joie de ma vie.
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