Ennemis depuis plusieurs décennies, Riyad et Téhéran viennent de signer leur réconciliation. Tout semble pourtant les opposer : sunnisme contre chiisme, Arabes contre Perses, pays volontairement dans le giron américain contre pays qui a fait de l’anti-américanisme son axe diplomatique principal. Concurrence pour le pétrole, pour le leadership au Moyen-Orient et dans le monde musulman, les deux pays ont de solides arguments pour être divisés et se détester. De fait, ils l’ont été des années durant, jusqu’à ce mois d’avril 2023 où, lors d’une rencontre en Chine, les deux pays ont surpris le monde entier en annonçant leur réconciliation. Ce sommet du 6 avril était l’aboutissement de rencontres et de négociations tenues secrètes, conduites sous l’égide de la Chine. C’est à Pékin que les deux ministres des Affaires étrangères se sont officiellement rencontrés et ont annoncé leur volonté de rouvrir leurs relations diplomatiques. Une promesse tenue puisque, le 17 juin, le ministre des Affaires étrangères d’Arabie saoudite s’est rendu à Téhéran pour de nouveau rencontrer son homologue et sceller la réconciliation.
Onde de choc au Moyen-Orient
Dans un Moyen-Orient qui nous a habitués à la guerre et au chaos, cette réconciliation est une onde de choc. Elle démontre que même dans ces pays de feux et de poudres, il est possible d’aboutir à la paix. Mais elle démontre aussi que les États-Unis sont en train de perdre le monopole de leur puissance. C’est en effet la Chine qui a conduit les négociations et qui a initié la réconciliation entre Riyad et Téhéran. C’est la première fois que Pékin s’immisce de façon si directe et si totale dans les affaires moyen-orientales ; un essai qui est un coup de maître. Dans son bras de fer pour le leadership mondial, la Chine laisse aux États-Unis le souvenir de l’intervention en Irak, de l’enlisement en Syrie et du chaos en Libye. Elle prend l’image du faiseur de paix et du pays de la pacification. C’est non seulement très habilement joué mais cela démontre aussi que Pékin n’entend pas rester cantonné à sa zone asiatique. En se faisant l’agent des négociations, Pékin a franchi le Rubicon en dévoilant ses objectifs mondiaux.
La réconciliation de l’Arabie et de l’Iran pourrait conduire à mettre un terme à la guerre au Yémen.
L’onde de choc est multiple et les acteurs attendent beaucoup d’elle. La réconciliation de l’Arabie et de l’Iran pourrait conduire à mettre un terme à la guerre au Yémen, où les deux pays se sont affrontés par milices interposées. Mais c’est également en Syrie, en Irak et au Liban que les deux pays ont des visions et des intérêts divergents. Riyad s’est par ailleurs réconcilié avec Bachar el-Assad, l’allié de Téhéran, en lui permettant notamment de participer à la rencontre de la Ligue arabe. Cette réconciliation devait ainsi permettre de renouer de nombreux liens et de normaliser les relations diplomatiques entre les pays de la zone.
La question du pétrole
Le pétrole est évidemment l’un des éléments clefs de ce dossier et l’une des raisons principales pour lesquelles la Chine est intervenue. Pékin a besoin d’un accès continu à un pétrole abondant et peu cher. Grâce à ce geste, la Chine espère pouvoir acheter du pétrole iranien et peut-être même saoudien. Jusqu’à présent, l’Iran subit un embargo américain qui lui empêche de le vendre à d’autres pays, par crainte des représailles américaines et par blocage des systèmes de transaction mondiale. Mais si c’est la Chine qui achète ce pétrole, elle n’aura que faire du système Swift et du règlement en dollar puisqu’elle peut passer par son propre système. Ce pétrole iranien arrivé en Chine pourra être vendu à des tiers, peut-être même des Européens, voire des Américains, ce qui signifierait l’inutilité de l’embargo. Cette accélération a été favorisée par la guerre en Ukraine, ce qui explique aussi que les États-Unis veuillent en finir afin de se concentrer sur ce qui est leur adversaire principal, à savoir la Chine.
La question du dollar
L’autre conséquence économique concerne le marché des armes. Les pays du Golfe ont été des acheteurs majeurs d’armement ces dernières années, par crainte notamment de l’expansionnisme iranien. Si la trêve est signée, alors ces pays pourront toucher eux aussi "les dividendes de la paix" en diminuant leurs achats. Ce qui est une mauvaise nouvelle pour les constructeurs américains, le Golfe étant pour eux un marché majeur. Et si ces pays achètent moins d’armes, ils auront moins besoin du dollar. Ce qui est une autre mauvaise nouvelle pour la monnaie américaine.
Nul ne peut encore prévoir toutes les conséquences que cette paix va avoir, mais force est de constater que c’est un événement majeur pour le Moyen-Orient et pour l’Occident. Pour une fois, et c’est suffisamment rare pour être souligné, dans le monde arabe, la colombe a gagné sur le faucon.