"Ce ne sont pas des pierres, c’est Notre-Dame". Il n’y a pas encore si longtemps, Jean n’aurait jamais pensé prononcer ces mots. Le soir du 15 avril 2019, il est devant la télévision au domicile familial. Face aux images de Notre-Dame de Paris en proie aux flammes, le jeune homme reste de marbre. "On s’en fiche, ce ne sont que des pierres", lance-t-il à ses parents désemparés.
À tout juste 25 ans, Jean est tout à fait à l’opposé du stéréotype d’une jeunesse catholique sage et bien comme il faut. Jeans, baskets, cheveux longs et boucle d’oreille : de prime abord, le jeune homme ne fait pas dans le classique. Né dans une famille pratiquante, il perd la foi à l’adolescence. "J’étais le rebelle, avec ma famille et mes proches. Je ne travaillais pas, je dormais ou je dessinais à l’école". Plus tard, au lycée, Jean tombe dans la drogue. "Je suis rentré dans une spirale, j’étais vraiment accro, raconte-t-il. J’avais complètement abandonné l'Église, je me disais anarchiste". Puis c’est la descente aux enfers. Addict, il développe alors des troubles psychiques et doit être hospitalisé à plusieurs reprises.
À Dieu par le Beau
Pour lutter contre ses démons, Jean se raccroche à ce qu’il a de plus cher, le théâtre. "J’ai la passion du jeu depuis tout petit. Ma mère m’avait emmené voir une pièce de théâtre, j’avais envie d’être sur scène, pas dans le public !", se souvient-il. Après son bac, il décide d’intégrer une école pour devenir comédien. C’est alors qu’on lui fait une proposition qui va bouleverser sa vie.
En 2020, Corentin Stemler, fondateur du spectacle la Dame de Pierre qui raconte l’histoire de la cathédrale ravagée par l’incendie, lui demande de rejoindre l’aventure. "En lisant le scénario, je suis tombé amoureux du projet, assure Jean. Il m’a dit que c’était bénévole, mais ce n’était pas un problème, j’ai signé parce que le spectacle est beau. Et puis, il y avait aussi cette phrase qui me traînait dans la tête, que j’avais dite en voyant la cathédrale brûler..." Ce goût du beau le pousse à s’interroger sur le sens du sacré. Jean est touché, sans pour autant faire le lien avec la foi.
Deux ans plus tard, alors que la jeune troupe est en répétition à Poitiers, un petit groupe de comédiens se retrouve pour dire un chapelet dans une ancienne chapelle. "Le dernier soir, j’y suis allé comme ça, je me suis assis contre un mur, bien planqué. J’ai assisté au chapelet, mais je n’ai rien dit, et je suis resté après le départ des autres. J’ai eu une bonne conversation avec Dieu : je me suis lâché, il y avait de la colère, j’ai beaucoup pleuré."
Pardon à Notre-Dame
S’ensuivent de longues semaines de réflexion et de lutte intérieure. Peu à peu, le jeune homme s’apaise, arrête la drogue. Au bout de quelques mois, Jean décide d’aller se confesser, puis retourne à la messe. "Le chemin que j’emprunte n’est pas terminé. J’ai plein de choses à apprendre, explique-t-il. Je suis la messe sur un missel, j’essaie de comprendre pourquoi à certains passages on se met à genoux. J’ai pris l’habitude de prier chaque matin et chaque soir, et de ne pas faire la grasse mat’ le dimanche !"
Ces jeunes ont tous ce sens du sacré, c’est ce qui me m'élève.
C’est grâce à la Dame de Pierre que Jean a pu entamer son chemin de reconversion. Il se sent porté par les jeunes avec qui il partage l’aventure. "Quand je suis arrivé à la Dame de Pierre, j’étais en plein combat, se souvient-il. Certains comédiens proches m’ont aidé, et je les ai suivis à la messe. Retrouver tous ces jeunes, chrétiens ou non, portés par un symbole, c’est incroyable. Ils ont tous ce sens du sacré, c’est ce qui me m'élève."
Comédien professionnel, il a la tâche de former et d’accompagner les 83 acteurs qui monteront sur scène. En plus des deux rôles qu’on le charge d’interpréter. "“Ce ne sont pas des pierres, c’est Notre-Dame”. C’est une phrase que dit l’un des personnages que j’interprète pour la Dame de Pierre. Pour moi ça a une signification très forte. En quelque sorte, c’est un moyen de me racheter d’avoir prononcé ces mots terribles au moment de l’incendie."
Comédien catho
Jean est certain. Sans l’art et le théâtre, qu’il aime tant, rien ne l’aurait poussé à chercher Dieu. "L’art est l’une des plus belles manières de se rapprocher de Dieu. J’ai toujours comparé un opéra ou un concert au paradis. Cette synchronisation parfaite d’instruments, c’est une vision proche du Ciel". Et pourtant, concilier la foi catholique et le métier de comédien est loin d’être facile. Si ce n’est impossible, sans courage. "Dans certains milieux du spectacle, être catho signifie être dangereux, on est presque obligé de s’excuser. Sur un tournage, on m’a dit “tu es catho ? Mais donc tu es facho !” On est mal perçus, se désole-t-il. J’ai du mal à comprendre pourquoi, car s’il y a bien une religion qui est discrète en France c’est le catholicisme."
C’était difficile au début, j’ai prié pour savoir comment j’allais faire avec ma carrière, et j’ai fini par me dire “tant pis !”
Mais il assume, et tient à garder autour du cou la médaille de baptême qu’il porte de nouveau depuis quelques mois. "Je suis devenu un de ces catholiques raillés, dont parle Paul Claudel. J’ai des potes qui n’ont pas compris, qui se sont moqués. C’était difficile au début, j’ai prié pour savoir comment j’allais faire avec ma carrière, et j’ai fini par me dire “tant pis !”". Jean assure qu’être un comédien catholique ne change pas grand-chose, si ce n’est qu'il n'accepte rien de ce qui pourrait heurter sa foi. "Ma vie c’est d’interpréter, comme n’importe quel autre comédien, mais si on me propose de jouer un sataniste, je dirai non."
Dans moins d’un mois, Jean sera sur la scène du Palais des Congrès avec cette jeunesse qui a soif de beauté et de grandeur. Admirateur de l’écrivain Paul Claudel, "qui a erré pendant des années avant de retrouver la foi" à Notre-Dame, le jeune comédien rêve encore d’une chose. "Je n’ai qu’une hâte quand Notre-Dame de Paris rouvrira, c’est de me rendre à ce fameux pilier près duquel Claudel a recommencé à croire." Revoir Notre-Dame, comme l’enfant perdu s’en retourne à la maison de son Père.