"Depuis quelques mois, il y a un vrai déficit de volontaires et nous ne comprenons pas bien pourquoi. Je sens une réticence des candidats à effectuer une mission de longue durée chez nous… " Alex Hadweh est le directeur de l’hôpital Saint-Louis de Jérusalem. L’établissement, fondé sur la base du volontariat en 1851, est devenu dès les années 1980 un symbole de coopération culturelle et professionnelle en Terre sainte. Jusqu’à récemment, il accueillait en moyenne 20 à 25 volontaires étrangers chaque année. Mais en ce mois de juin, ils ne sont qu’une poignée à avoir candidaté pour la rentrée de septembre.
L’absence de candidats au début de l’été, période où se font les derniers recrutements et la formation des volontaires avant leur grand départ en mission, étonne les ONG d’envoi en mission. Elle inquiète, sur place, les partenaires locaux, tant le réseau historique de volontaires chrétiens de Terre sainte représente un soutien incontournable pour les écoles, les établissements de santé et les centre de communication. "Le nombre de volontaires avait déjà chuté entre 2020 et 2022 pendant la crise du Covid, et nous avions dû embaucher en catastrophe du personnel local. Mais les groupes étaient ensuite revenus en 2022", poursuit Alex Hadweh. "J’espère ne pas retourner à ce niveau d’urgence. La présence de volontaires étrangers est une énorme valeur ajoutée pour nous. Ils ont un super état d’esprit, ils insufflent une énergie vraiment irremplaçable à nos équipes de soignants et à nos patients."
"Nous nous rendons compte que les jeunes ont du mal à s’imaginer dans un volontariat de 12 mois."
Même constat à Bethléem, où sœur Silouane coordonne l’enseignement du français dans les écoles chrétiennes de Terre sainte. Chaque année, le réseau Barnabé travaille avec huit volontaires attachés de langue, chargés de booster l’enseignement du français dans les établissement chrétiens. En ce mois de juin, aucun candidat n’est encore venu frapper à la porte de l’organisation. "Je suis surprise, je ne sais pas ce qu’il se passe. On va essayer de faire de la pub dans des paroisses, mais ça ne va pas se débloquer comme cela… J’avoue que je n’ai pas trop confiance pour la rentrée 2023", observe la laïque consacrée. Elle alerte : "Sans volontaires, tout l’élan que nous avons tenté d’insuffler ces dernières années avec le français risque de s’essouffler."
Une plus grande peur de l’inattendu ?
Pour la Délégation catholique pour la coopération (plus connue sous le nom de DCC), l’une des principales organisations d’envoi en mission sur place avec l’Œuvre d’Orient, cette soudaine pénurie a des racines multiples. Elle montrerait d’abord une difficulté croissante des candidats à s’engager pour des volontariats de longue durée, supérieure à un an. "Nous nous rendons compte que les jeunes ont du mal à s’imaginer dans un volontariat de 12 mois. Quant aux personnes moins jeunes, les travailleurs actifs, elles ont des difficultés à demander une année de pause à leur employeur, surtout après la période de Covid que nous venons de vivre", explique Laure Métro-Savelli, Directrice des relations partenaires et volontaires de la DCC.
"C’est très dur de trouver des personne prêtes à quitter leurs amis, leur famille, leur travail et leur pays pour une année ou deux."
Les ONG partenaires observent également une plus grande difficulté des candidats à rester ouvert à l’appel de la mission. "Nous en discutons avec l’Œuvre d’Orient et Fidesco, c’est un discours que nous entendons de plus en plus lors des recrutements : “Je veux bien partir en volontariat, mais je n’irai pas dans tel, tel ou tel pays.” Il y a une moindre ouverture à l’inattendu, en fait", regrette-t-elle. Le volontariat serait ainsi de plus en plus perçu comme un projet solidaire parmi beaucoup d’autres. "Les jeunes que nous rencontrons font le choix entre rechercher un CDD engagé, partir sac au dos durant 3 à 4 mois, ou encore s’engager dans un projet d’Église. Nous leur disons qu’un projet de volontariat demande au contraire du temps pour être mûri et construit pas à pas. Un volontariat en Terre sainte ne s’improvise pas en quelques semaines."
Un changement de paradigme
Enfin, la DCC comme les institutions locales observent un « changement de style de vie » des candidats à la mission. "Devenir volontaire et être prêt à partir pour une longue durée est une grande décision. A l’hôpital Saint-Louis, j’ai le sentiment que les gens réfléchissent maintenant à deux fois avant de s’engager. C’est très dur de trouver des personne prêtes à quitter leurs amis, leur famille, leur travail et leur pays pour une année ou deux", estime Alex Hadweh. "Plusieurs candidats refusent aussi de prendre l’avion pour partir en mission", ajoute de son côté Laure Métro-Savelli. Elle rappelle enfin que ces difficultés de recrutement ne sont pas propres à la Terre sainte, mais se répercutent actuellement dans tous les pays d’envoi en mission.
"Un gain pour votre CV, un gain pour votre vie, un gain pour la Terre sainte !"
ONG et partenaires de Terre sainte mobilisent ces jours-ci toutes leurs forces pour tenter de susciter de nouveaux candidats. La DCC relaie ainsi ses missions à sa base de sympathisants, invitant ses anciens volontaires à témoigner de la richesse d’une expérience de volontariat longue durée. "Le meilleur vecteur de mise en valeur du volontariat passe par les gens qui ont déjà vécu un volontariat en Terre sainte", insiste L. Métro-Savelli. "Les anciens volontaires de la DCC peuvent par exemple témoigner qu’être accompagnés par un organisme aide grandement lors du retour en France. Ils peuvent exprimer avec leurs mots les fruits à court, moyen et long terme de cette expérience unique !" Et Sœur Silouane d’appeler : "Je veux le dire aux futurs volontaires : venez, vous ne perdez pas votre année ! Donner une année de volontariat, c’est un gain pour votre CV, un gain pour votre vie, un gain pour la Terre sainte !"