Parole contre parole, chaque camp soutient son candidat et accuse l’autre de mensonge. Un face-à-face dangereux et sans fin, qui plonge le Sénégal dans la violence et menace de faire basculer l’un des pays les plus stables d’Afrique et qui demeure sa vitrine. Cette tension est la conséquence du bras de fer entre Macky Sall et son principal opposant, Ousmane Sonko. Celui-ci a été condamné à deux ans de prison ferme après avoir été reconnu coupable d’avoir poussé à la "débauche" une jeune femme travaillant dans un salon de beauté. Les charges de viol et de menaces de mort n’ont en revanche pas été retenues. Cette condamnation pourrait conduire à une inéligibilité, ce qui empêcherait Ousmane Sonko de se présenter à la présidentielle de 2024. D’où le scandale pour lui et son camp, accusant Macky Sall et le parti présidentiel d’avoir manipulé la jeune fille et les juges pour dresser la condamnation. Sall peut invoquer une justice indépendante, dans laquelle il n’a pas à intervenir, la rupture est consommée. Plus grave, la tension entre les deux hommes s’est propagée dans les rues de Dakar.
Partition politique
Tout oppose les deux hommes et cette opposition renforce la partition politique et géographique du Sénégal. Sonko est originaire du sud du pays, la Casamance, même s’il est né dans une ville de la banlieue de Dakar. C’est là qu’il a son fief électoral, maire d’une ville de 200.000 habitants. Ayant fait de brillantes études, parlant bien, défendant un programme de patriotisme économique, de panafricanisme et de rupture avec l’ordre colonial, il draine derrière lui les populations de Casamance ainsi qu’une grande partie de la jeunesse dans un pays où plus de la moitié de la population a moins de 25 ans. La France et les Blancs sont les adversaires idéals de ses discours, trouvant un écho dans le discours anti-Français qui se diffuse en Afrique.
Il est l’inverse de Macky Sall, issu lui du peuple Fouta, situé dans le nord du pays, à la frontière entre le fleuve Sénégal et le territoire des Maures. Sall a fait toute sa carrière en politique, dont il a gravi les échelons comme conseiller et ministre de l’ancien président Abdoulaye Wade avant de devenir président à son tour en 2012. Rivalités ethniques, générationnelles, politiques, tout oppose les deux hommes, ce qui explique la popularité de Sonko, même s’il n’a obtenu que 15% des voix à la présidentielle de 2019.
Ces élections qui viennent sont particulièrement tendues, car elles s’inscrivent dans un contexte politique bouillonnant. La constitution interdit de réaliser plus de deux mandats consécutifs, si bien que Macky Sall ne devrait pas avoir le droit de se représenter. Mais, par un tour de passe-passe qui exacerbe les tensions, il a modifié la durée du mandat présidentiel, le faisant passer de 7 à 5 ans. Sall explique donc que son mandat actuel n’est pas le deuxième (2012 et 2019) mais le premier en tant que quinquennat et qu’il n’est donc pas frappé par la limite de deux mandats puisqu’il faut l’entendre comme deux quinquennats successifs, ce qui laisse la voie libre pour une candidature en 2024, même s’il n’a pas encore annoncé se présenter à la future présidentielle. Sonko conteste cette lecture de la Constitution et rejette donc la capacité de Sall à se représenter en 2024. Sa condamnation récente ne serait alors qu’une machination politique visant à l’écarter de l’élection et de la présidentielle.
Un pays à sang
À l’annonce de la condamnation d’Ousmane Sonko, ses nombreux partisans sont descendus par centaines dans les rues de Dakar, prenant pour cible les commerces et les lieux de pouvoir. Une vingtaine de morts est d’ores et déjà recensée dans les affrontements entre la police et les manifestants. L’armée a été déployée dans la capitale pour protéger les grands axes. À Paris, l’ambassade du Sénégal subit des manifestations régulières des partisans de Sonko.
La violence ne cesse de croître, menaçant l’équilibre d’un pays qui était jusqu’à présent très stable. Si la condamnation et l’inéligibilité de Sonko sont confirmées, celui-ci aura beau jeu de crier au complot politique et d’exacerber la colère de ses partisans. S’il se présente et qu’il est battu, ce sera alors la fraude qui sera invoquée pour expliquer sa défaite. Aucune porte de sortie ne semble donc possible pour l’instant, les partisans de chaque camp étant chaque jour plus divisés. Le sang qui a coulé à Dakar n’a fait qu’accentuer le fossé d’un pays qui est au bord de la renverse.