Que feriez-vous si l’on vous annonçait de but en blanc qu’il vous restait trois ans à vivre ? Cette question, Olivier Goy, alors âgé de 46 ans, a dû y faire face en décembre 2020. Ce dirigeant d’entreprise prodige du fintech et passionné de photographie découvre qu’il est atteint de la maladie de Charcot, une pathologie dégénérative incurable entraînant progressivement une paralysie des muscles vitaux, et donc la mort. Dans Invincible été, un documentaire aussi pudique que bouleversant sorti en salles cette semaine, l’homme d’affaires raconte son itinéraire, lui qui a pris un virage à cent quatre-vingt degrés à l’annonce de la maladie. Et ce n’est pas qu’un homme malade que l’on découvre, mais d’abord un homme vivant.
On suit Olivier Goy dans sa vie quotidienne, filmé au débotté à côté du sapin de Noël par son fils cadet Louis, en conférence au sein d’une entreprise ou assis autour d’une table de café avec des amis. Ce qui saisit, dans ce témoignage, c’est que l’on voit un homme qui a accompli un chemin prodigieux. Et un homme heureux. Cet entrepreneur à succès qui avait la parole fluide et un public acquis d’avance se bat désormais chaque jour pour conserver le plus longtemps possible ses capacités. Sa vie, c’est le deuil quotidien de toutes ces choses qu’il ne pourra plus jamais faire.
Chaque matin, il se demande : jour de déclin ou jour de stabilité ? Lorsqu’il parle, son débit est lent et il faut se concentrer pour comprendre ses propos. Il doit affronter le regard des autres, parfois jugeant. Ainsi qu’il l’explique, ceux qui le connaissent présupposent qu’il va dire des choses intelligentes, mais ceux qui ne le connaissent pas, eux, "s’arrêtent à l’intelligible". "La personne qui s’adresse à moi ne s’adresse pas à moi à cause du fauteuil roulant, mais à ma femme : "Qu’est-ce qu’il veut, le monsieur ?". Mais le monsieur, il peut te parler, il n’est pas sénile", lance-t-il sans se départir de son immense sourire. Et ce tendre et large sourire d’Olivier Goy, loin de ressembler à un masque, rayonne, comme une ode à la vie et à l’espérance.
"La force vient de ce tout ce qui est fêlé"
Quand sa femme Virginie prend la parole à son tour, son émotion, bien que contenue, reste palpable. "On a cette force ensemble en famille d’être uni et de se soutenir", affirme-t-elle, sans nier la souffrance engendrée par la situation. Lorsqu’elle dépeint son mari, elle le décrit comme un guerrier qui, avec cette maladie, a découvert la dépendance. "C’était la première fois qu'on lui imposait quelque chose. D’habitude, c’était toujours lui qui était décisionnaire. Il avance dans une direction qui est celle d’un combattant, pas celle de quelqu’un qui se résigne". Quelques mois après le diagnostic, le chef d’entreprise a en effet eu le désir de faire son “coming out” de la maladie.
"Je ne veux pas cacher les choses", confie-t-il avec simplicité. Cette ouverture, cette franchise et cette acceptation de sa réalité – qui n’est pas une soumission – font de lui un messager. Il a besoin de porter une parole, c’est en lui. "Je me considère comme en mission. Ma mission, c’est d’aimer ; c’est d’aider celui qui n’arrivera pas à faire face", lâche-t-il. S’il se bat, ce n’est pas pour lui car son espérance de vie ne le permet pas, mais pour ses proches, ainsi que les futurs malades. Pour que cette pathologie, que l’on ne guérit pas aujourd’hui, devienne davantage visible. Pour que la recherche avance. Pour que la mort ne reste pas cachée.
Dans ce film, on trouve des larmes, des rires et de la joie. Beaucoup de joie. Le fameux Carpe diem d’Horace, Olivier Goy a appris à le faire sien. "Pour moi, c’était le genre de belle phrase qu’on met dans les agendas, les almanachs, sur les posters, les pulls. C’était de la connerie de philosophie de vie. Et en fait, aujourd’hui, je l’incarne", lance-t-il tout sourire, ajoutant plus loin sans ciller : "J’ai accepté la mort totalement. Elle ne me fait plus peur. Elle vient quand elle veut : je l’attends sereinement". La philosophe Delphine Horvilleur, qui apparaît à son tour dans le film-documentaire, donne en quelques mots d’une fulgurance aiguë le sens de cette épreuve qui, à vue d’homme, semble un non-sens : "Dans votre handicap ou votre vulnérabilité, vous avez repris le dessus. Vos cassures paradoxalement vous ont rendu plus fort [...] et la force vient de ce tout ce qui est fêlé".
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