La rentrée des classes, c’est demain. Votre ado préféré a passé quinze bonnes journées de vacances tanné dans un canapé, tanné dans le jardin, tanné dans la voiture, tanné sur la table du petit-déjeuner-goûter-dîner, il lui reste quelques heures pour retrouver les sensations enivrantes de la verticalité. Et une soirée pour écrire six pages sur "les grandes problématiques mondiales de Jules César à nos jours". Le petit frère, ce petit chéri, a passé quinze bonnes journées de vacances à harceler, chipoter, asticoter tout ce qui lui tombait sous la main : chien, chat, ado tanné, mère un brin énervée, copain de passage, ou grand-mère compatissante. Il lui reste une demi-soirée pour trier, planter, arroser, des graines de lentilles et les transformer en plantation verdoyante à apporter en classe demain matin. Et la grande sœur, cette adorable étudiante, a passé quinze bonnes journées de vacances à se volatiliser, tout en ayant soin de laisser çà et là quelques preuves de vie : baskets, sac de sport, sac de cours, sac à main, sac à chaussures dans l’entrée. Baskets, chaussettes, veste en boule (la vôtre en fait) au pied du canapé, à côté des bouteilles de bière, et de l’ado tanné qui vous dira qu’il n’a rien à voir avec tout ça. Il lui reste quelques heures pour rassembler toutes ses affaires et rédiger, taper, relier son rapport de stage, thématique "maximiser l’efficacité de chacun au travail".
Quant à vous, vous avez passé d’excellentes vacances, mis à part quelques croche-pattes de sacs dans l’entrée, agréablement bercée par ce refrain repris en chœur à toute heure du jour : "T’inquiète, je gère." Je gère les devoirs, je gère les profs, je gère les rapports de stage. Je gère ma vie, je suis un grand garçon, une grande fille. C’est donc la conscience très tranquille que vous sirotez votre dernier verre des vacances… jusqu’au moment où ils finiront par découvrir que les lentilles ont composé le repas d’hier, et qu’il n’y plus de cartouches d’encre. Et là, curieusement, tout le monde s’attendra à ce que vous preniez les choses en main ! Telle est la question : faut-il croire les "t’inquiète je gère" ? Telle est la réponse : évidemment que non.
Le "t’inquiète je gère" est un écran de fumée destiné à éloigner les casse-pieds, un mantra auquel ne croient que ceux que ça arrange bien d’y croire, une invention des enfants qui les fait rigoler en douce.
Le "t’inquiète je gère" est un écran de fumée destiné à éloigner les casse-pieds, un mantra auquel ne croient que ceux que ça arrange bien d’y croire, une invention des enfants qui les fait rigoler en douce. Mais alors que faire ? S’inquiéter pour eux et gérer à leur place ? Non plus.
Pas à leur place
Vous n’allez pas écrire un rapport de stage ou une dissertation de géopolitique, signés par la suite de la main de vos enfants, vous n'êtes tout de même pas là pour leur apprendre la délinquance. Vous ne ferez pas pousser des lentilles en une nuit. En revanche, certaines techniques ont fait leurs preuves. Récupérer la liste des devoirs (ou plantations) à faire, le soir de la sortie des classes, avant que la station verticale ait été perdue, ou que le cahier de texte ne se retrouve au fond de la valise oubliée. Ne même pas attendre que les vacances aient commencé, en deux jours les cerveaux se sont déjà ramollis. Remettre à jour le calendrier affiché sur le frigo, échéances, délais, dates-butoirs : plus besoin de les rappeler indéfiniment, elles sont affichées, sorties de votre tête à vous, mais régulièrement sous les yeux de l’étudiante volatile. Proposer les jours et plages horaires où vous pouvez être utile à qui veut : achat de graines, correction de fautes d’orthographes, mise en page…
Bref, notre petit chéri n’aura pas non plus à s’inquiéter : on ne fait pas à sa place. On peut faire beaucoup pour lui, on peut faire beaucoup avec lui, mais à sa place non, et ça tombe bien car c’est la sienne… et elle est déjà prise. C’est ainsi, nous pouvons faire beaucoup de choses avec eux, mais pas à leur place, et c’est aussi ce que veut dire leur "t’inquiète-je-gère". Et c’est ainsi qu’ils grandissent : guidés par des parents qui sont de bons soutiens mais de très mauvais magiciens, qui n’ont pas cent bras, pas d’ubiquité, aucun super-pouvoirs. Leur recherche d’autonomie connaîtra des défaites, et de plus en plus de victoires. Faire à leur place, rattraper le coup indéfiniment, vouloir leur épargner les défaites, c’est aussi les priver de leurs victoires. Parents, nous avons notre propre refrain : "Dis-moi de quoi tu as besoin." Nos enfants seront toujours heureux de l’entendre, régulièrement, pas trop souvent, efficacement. Et laissons-les faire.