Une guerre larvée sévissait déjà depuis 10 ans dans l’Est du pays, mais en ce 24 février 2022, c’est l’Ukraine tout entière qui entre dans une ère de douleur et d’incertitude. Alors que les bombes de la Russie pleuvent sur Kiev, que les premiers habitants fuient la ville, Mgr Sviatoslav Shevchuk décide de rester, malgré le danger – il figurait, semble-t-il, sur une liste russe de cibles à abattre. Caché dans un abri avec quelques fidèles, l’archevêque de Kiev et primat de l’Église gréco-catholique montre qu’il est toujours en vie en enregistrant des messages. Ces vidéos deviennent un rendez-vous quotidien ; traduites en cinq langues et relayées sur internet, elles permettent à Mgr Shevchuk de sensibiliser le monde au drame vécu par son pays, mais surtout d’exhorter les fidèles, où qu’ils se trouvent, à la résistance et à l’unité nationale face à l’agression russe.
Mais l’archevêque n’en reste pas aux vidéos. Il parcourt les zones dévastées par les combats, visite les hôpitaux et orphelinats, prodiguant réconfort à tous ceux que la guerre a meurtris. Son message est clair : la prise en charge pastorale de la population est désormais la mission première de l’Église. "Près de 80% des Ukrainiens ont besoin d’aide pour surmonter leurs traumatismes psychologiques, physiques et autres. Notre tâche en tant qu’Église est d’aider à guérir les blessures de notre nation", affirmait-il le 8 février dernier, lors d’une conférence en ligne organisée par l’AED.
Le cri de son peuple, Mgr Shevchuk le porte au cœur de l’Église universelle ; il s’est d’ailleurs rendu à Rome à deux reprises depuis février 2022. Selon le journaliste de l’édition en anglais de Aleteia, John Burger, auteur d’un récent livre d’entretien avec lui (At the foot of the Cross. Lessons from Ukraine/Au pied de la Croix. Leçons d’Ukraine), Mgr Shevchuk est régulièrement en communication directe avec le Pape François et l’informe de l’évolution de la situation. "Je crois savoir qu’il a fourni au Pape des listes de prisonniers de guerre dans l’espoir que François puisse intervenir par les voies diplomatiques et organiser un échange de prisonniers", avance John Burger, pour qui l’archevêque de Kiev est "un héros", "un pont entre différentes époques : celle de la persécution de l’Église par les communistes, celle de son renouveau et celle de sa réponse aux divers défis modernes, notamment la guerre".
La foi et la fidélité des catacombes
Sviatoslav Shevchuk voit le jour le 5 mai 1970 dans la région de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine. À cette époque, l’Église gréco-catholique, dont la liquidation avait été décidée personnellement par Staline en 1946, est interdite par le pouvoir soviétique ; ses prêtres et fidèles sont condamnés à l’exil ou à la clandestinité. Le jeune Sviatoslav grandit au sein de cette "Église des catacombes". De cette expérience, il garde une "foi profonde, une vie de prière riche et aucune naïveté quant aux défis potentiels auxquels un chrétien est confronté dans une société moderne. Il a été formé par ceux qui sont restés fidèles dans les circonstances difficiles. Il est donc lui-même fidèle", analyse pour Aleteia Mgr Borys Gudziak, chef du Département des relations extérieures de l’Église gréco-catholique et président de l’Université catholique d’Ukraine.
Théologien reconnu et primat à 41 ans
Diplômé d’un institut médical, il accomplit son service militaire dans l’Armée rouge, où il sert en tant qu’aide-médecin. Il part ensuite pour l’Argentine et y débute des études de philosophie et de théologie au séminaire Don Bosco de Buenos Aires. La chute de l’URSS en 1991 et la légalisation de l’Église gréco-catholique ukrainienne lui permettent de revenir dans son pays et d’intégrer le séminaire de Lviv. Il est ordonné diacre, puis prêtre en 1994. Reconnu comme l’un des plus brillants théologiens de sa génération, polyglotte de surcroît, il est envoyé à l’Université pontificale saint Thomas d’Aquin de Rome – plus connue sous le nom d’Angelicum – afin d’y poursuivre un cursus en théologie morale.
Après son retour en Ukraine et grâce à de généreuses donations, Shevchuk fait construire à Lviv le plus grand séminaire catholique de l’ex-URSS et en devient le recteur, se montrant très attentif à la qualité de la formation des candidats au sacerdoce. Il s’attelle également, entre autres fonctions, à la rédaction d’un nouveau catéchisme pour l’Église gréco-catholique. En 2009, le pape Benoît XVI accepte son élection épiscopale par le synode de l’Église gréco-catholique ; Shevchuk retrouve alors Buenos Aires comme évêque auxiliaire de l’Éparchie de Sainte-Marie.
Le 27 mars 2011, il est élu archevêque de Kiev et de Galicie, après la démission pour raison de santé du cardinal Lubomyr Husar. Le voici donc, à seulement 41 ans, primat de l’Église gréco-catholique. Sous son impulsion, cette dernière a développé de nombreuses nouvelles structures, assure Mgr Gudziak : "Trois nouveaux sièges métropolitains, de nouveaux diocèses, sans compter un rayonnement missionnaire non seulement en Ukraine mais aussi dans le monde entier."