Bidonville de Sawata. Des enfants partout. C’est ce qui frappe généralement les volontaires occidentaux qui arrivent dans les bidonvilles de Manille. Des enfants qui errent dans les rues, livrés à eux-mêmes. Ils ne sont pas, ou peu scolarisés, en raison des classes surchargées, et passent leur temps sur Internet quand ils ne jouent pas sur des monticules de déchets. Rien ne les encourage à sortir de cette misère matérielle et affective. Rien, si ce n’est cette poignée de volontaires qui se succèdent depuis plus de dix ans au sein de l’association Phil’Book.
"Leurs parents sont absents pour différentes raisons. Certains travaillent, notamment comme conducteurs de tricycle (équivalent du tuk-tuk thaïlandais), d’autres sont empêtrés dans des addictions telles que l’alcool et le jeu", explique Solange Augereau, ancienne volontaire MEP, avec son mari Baptiste, à Sawata, et présidente de l’association Phil’Book. Nombreux aussi sont ceux qui partent à l’étranger pour travailler, les femmes comme femmes de ménage ou jeunes filles au pair, les hommes dans la marine marchande. Ils confient alors pendant plusieurs années leurs enfants aux grands-parents, oncles et tantes.
D’autres situations sont encore plus douloureuses, en raison d’un manque affectif criant : des parents qui ont abandonné leurs enfants, ou des enfants qui ont fui un foyer miné par la violence. Sans compter les répercussions des mesures répressives menées par l’ancien président Rodrigo Duterte contre les toxicomanes, exécutés ou emprisonnés à vie, privant les enfants de leurs parents. "Tous ces enfants se côtoient dans le bidonville, livrés à eux-mêmes, sans rêve, sans imagination, sans connaissance du monde au-delà de leur quartier", constate Solange Augereau.
L’association Phil’Book
Face à cette précarité matérielle, affective et psychique, deux anciennes volontaires, Eléonore Guédet (MEP) et Solène Paloma (DCC), après 6 et 4 mois passés auprès des sœurs de la Bonne Nouvelle implantées à Manille depuis 2002, reprennent et structurent la mission initiée par les religieuses. "Leur objectif est de perpétuer une présence bienveillante auprès des enfants, d’éveiller leur esprit, leur âme, de développer leur imagination et de faire en sorte qu’ils s'autorisent à rêver à autre chose que l’avenir proposé par leurs parents", précise Solange Augereau. L’association Phil’Book est créée en 2012 grâce au concours organisé par les MEP, avec pour ambition de favoriser l’épanouissement des enfants des bidonvilles par le jeu, les contes et des activités ludo-éducatives, de développer leur confiance en eux et en une vie meilleure.
Joseph et Bérengère sont un des maillons de la grande chaîne des volontaires MEP envoyés à Sawata, au sein de l'association Phil’Book. Joseph est ingénieur en aéronautique et Bérengère étudiante en orthophonie. A peine mariés – le 24 septembre 2022 – ils se sont envolés le 9 octobre pour Manille. Un désir de mission qu’ils partageaient depuis le début de leur relation et qui s’est affiné tout au long de leur préparation au mariage. "Nous voulions vivre ensemble un temps particulier de service. Une première planche sur le pont de notre mariage, comme le décrivait le prêtre qui nous a préparés. Plus on a de planches, c’est-à-dire des projets communs, plus on se rejoint, plus le pont est solide". Un désir de se mettre, en couple, au service de leur prochain exaucé au-delà de leurs espérances puisque Joseph et Bérengère sont envoyés par les MEP pour gérer la "librairie" Phil’Book de Sawata, à Manille, pendant dix mois.
Des sources quotidiennes d’émerveillement
Ils embrassent pleinement la vocation de l’association Phil’Book et offrent aux enfants du bidonville un espace dans lequel ils puissent jouer, écouter des histoires, avoir un cadre, lier des amitiés, croire en eux et en un monde meilleur. "Un espace où ils peuvent être des enfants", résument Joseph et Bérengère. Les journées s’articulent autour de deux grands axes : un accueil, le matin, dans une "librairie" qui s’apparente davantage à une ludothèque (jeux, mathématiques, logique, anglais…), et des contes de rue, l’après-midi. Afin de rejoindre les enfants les plus éloignés de l’association, une dévouée conteuse philippine, Mum Percy, ainsi que les volontaires, arpentent les bidonvilles de Manille pour lire des histoires et proposer des activités ludiques aux enfants. "Cet espace donne un cadre aux enfants, installe une routine, leur donne le goût de l’effort, en allant jusqu’au bout d’un jeu, d’une activité ou d’un coloriage", confient Joseph et Bérengère.
A mi-chemin de leur mission, le couple est comblé. Les fruits sont nombreux et visibles. Joseph et Bérengère témoignent d’abord de la joie qui émane des enfants. "Ils vivent dans une profonde misère, et pourtant, on les voit joyeux, heureux, spontanés… Une belle leçon !", confient-ils. Autre source d’émerveillement : les voir progresser, évoluer au fil des mois. "Ils apprennent, non sans mal, à respecter les règles, comme celle, par exemple, d’être dix enfants maximum dans la librairie, mais aussi les règles des jeux. On les voit progressivement établir des liens d’amitié, être davantage attentifs les uns aux autres. Ce qui nous a marqués dernièrement, c’est cette petite fille de 9 ans qui nous a demandé pardon pour une règle qu’elle n’avait pas respectée. Un cadeau inestimable".
Un temps privilégié pour le couple
La mission Phil’Book à Sawata est une mission qui se remplit en couple. "Il nous semble important que les enfants puissent côtoyer un couple qui s’aime et se respecte, leur simple présence est déjà un beau témoignage pour ces enfants qui sont souvent témoins de violences conjugales", explique Solange Augereau. De manière plus pratique, être en couple offre un repère non négligeable dans un environnement difficile. "Et s’occuper d’enfants est une belle préparation à la vie de parents!, complète Solange, la mission fait grandir l’amour au sein du couple".
Une mission à deux. C’est ce que recherchaient Joseph et Bérengère, et ils sont pleinement exaucés : "On est ensemble du réveil au coucher", soulignent-ils. Si cela n’est pas sans difficultés au quotidien, ils apprennent énormément ! Tous deux étant de "grands sensibles", ils ont vite réalisé que chaque décision de l’un avait un impact sur l’autre. Première leçon, donc : apprendre à poser des choix ensemble. D’autant plus que dans cet environnement "agressif", ils réalisent que "tout seul, on se sent faible". "Nous faisons vraiment l’expérience de la force du couple. On voit bien qu’à deux, on peut aller beaucoup plus loin dans les projets".
Outre le fait de s’accorder pour avancer, ce temps de mission est un temps privilégié pour mieux se connaître. "Nous sommes tout le temps l’un face à l’autre, le cadre est déstabilisant donc l’autre, surtout au début, est notre seul point de repère. Il n’y a pas d’échappatoire possible à la relation", expliquent-ils. La réconciliation est obligatoire. "On est "obligé" de s’entendre, mais nous avons appris à nous laisser le temps de la réconciliation, à laisser le temps à l’autre pour recommuniquer". Une complicité essentielle qui n’avait pas échappé à Jean-Louis Ghazal, chargé de recrutement aux MEP. "Un des critères pour discerner qu’un couple est prêt à partir ou non, c’est la complicité dans le couple. C’est fondamental, d’autant plus lorsque le couple part pendant sa première année de mariage et qu’il n’a pas vécu ensemble avant."
Même en mission, la première mission du couple, c’est le couple. Jean-Louis Ghazal en est convaincu : "Lorsque des volontaires partent en couple, leur mission principale, c’est leur couple. La mission vient après", confie-t-il à Aleteia. Il souligne la nécessité de s’octroyer des temps à deux, pour se retrouver, se confier, rééquilibrer la place que l’on accorde à l’autre, à son couple, à la mission. "C’est un équilibre à trouver. La mission ne doit pas prendre toute la place, ni mettre le couple à l’épreuve", alerte le chargé de recrutement. Le but est que les conjoints grandissent, évoluent, soient heureux, qu’ils fondent leur couple sur cette aventure missionnaire et construisent un projet commun une fois de retour en France. "Sans compter qu’un couple épanoui en mission porte davantage de fruits qu’un couple malheureux!", estime-t-il.
Comment envisagent-ils leur retour en France ?
Si à leur retour Joseph cherchera du travail et Bérengère reprendra ses études d’orthophonie à Strasbourg, ils ont déjà décelé ce qui enthousiasmait leur vie de couple. "Vu à quel point nous aimons vivre cette mission à deux, on ressent tous les deux cette vocation de notre couple à accueillir, et notamment des enfants", témoignent-ils. "J’adore m’occuper d’enfants, confie Joseph, mais au-delà des enfants, j’aimerais entretenir ce souci que nous avons à accueillir l’autre comme il est, avec ses défauts, ses différences, nos incompréhensions mutuelles, j’aimerais vraiment garder ce regard bienveillant qu’on essaie de poser sur les Philippins".
Quant à Bérengère, elle fait à Manille l’expérience d’une autre notion du temps : elle prend le temps de bien faire les choses, de finaliser les projets, de soigner les détails… Un soin qu’elle délaissait lorsqu’elle était en France, prise dans le tourbillon de la vie et par l’urgence. A son retour, une chose est sûre, c’est qu’elle cherchera à ne pas bâcler l’essentiel !
Autre élément que le couple aura à cœur d’instaurer une fois de retour en France : la prière conjugale. Si, en France, il leur arrivait de prier à deux, ils avaient l’impression de courir après le temps, et en priant, de "prendre" sur leur temps en couple. "Là, comme nous sommes toute la journée ensemble, on prend le temps. Et on réalise que nous en avons besoin. C’est un lieu où on se sent bien, on n’a pas envie d’y échapper", confient-ils.
Un bel aperçu de la mission Phil’Book à Sawata à travers l’expérience de Solange et Baptiste Augereau :
Pratique
En partenariat avec Volontaire MEP