"J'entendis parler d'un grand criminel qui venait d'être condamné à mort pour des crimes horribles, tout portait à croire qu'il mourrait dans l'impénitence. Je voulus à tout prix l'empêcher de tomber en enfer […]. Je dis au Bon Dieu que j’étais bien sûre qu'Il pardonnerait au pauvre malheureux Pranzini, que je le croirais même s'il ne se confessait pas et ne donnait aucune marque de repentir, tant j'avais de confiance en la miséricorde infinie de Jésus." Thérèse n’a pas 15 ans quand Henri Pranzini est condamné à mort pour avoir été reconnu coupable d’un triple meurtre sordide, dont celui d’une enfant de neuf ans. Thérèse est exaucée : avant de monter à l’échafaud, Pranzini saisit le crucifix que lui tend l’aumônier et l’embrasse.
La justice de Dieu n’est pas celle des hommes
Nul doute que Thérèse ait abhorré ce triple homicide que la presse de l’époque couvre largement. Comment ne pas s’indigner du sacrifice de l’innocent ? Pourtant, la future carmélite ne désespère pas : elle ne prie pas, d’ailleurs, pour la commutation de la peine de Pranzini, ni pour qu’il soit épargné. La justice humaine a tranché, et Thérèse s’y soumet. La jeune fille implore pour que le meurtrier soit sauvé d’une autre manière : non pas son corps, mais son âme, non pas sa vie terrestre, mais son salut éternel. Thérèse prie pour que Pranzini entre au Paradis, aux côtés de ses victimes. Révoltant ?
Pour les hommes, certainement. Mais la justice de Dieu n’est pas celle que l’on observe ici-bas, et les témoignages des saints ne manquent pas pour illustrer ce mystère d’amour pascal. Pensons notamment à sainte Maria Goretti, tuée à 12 ans, en 1902, par Alessandro Serenelli qui voulait la violer. Sur son lit de mort, elle lui pardonne. 45 ans plus tard, il assiste à son procès de béatification puis part finir ses jours comme jardinier dans un monastère franciscain.
Satan n’est-il pas celui même dont le nom, en hébreu, signifie "accusateur" et "adversaire" ? Dieu, Lui, n’accuse pas. Il hait le péché, et non le pécheur. Pourtant, le péché mortel, c'est-à-dire "tout péché qui a pour objet une matière grave, et qui est commis en pleine conscience et de propos délibéré́" (Catéchisme de l’Église catholique §1857), coupe véritablement de l’amour de Dieu et exclue de la communion des saints. "Le péché mortel […], s'il n’est pas racheté par le repentir et le pardon de Dieu, cause l’exclusion du Royaume du Christ et la mort éternelle de l’enfer, notre liberté ayant le pouvoir de faire des choix pour toujours, sans retour.
Cependant si nous pouvons juger qu’un acte est en soi une faute grave, nous devons confier le jugement sur les personnes à la justice et à la miséricorde de Dieu" poursuit le CEC (§1861). "Ne jugez pas, pour ne pas être jugés, nous enseigne le Christ lui-même, de la manière dont vous jugez, vous serez jugés ; de la mesure dont vous mesurez, on vous mesurera. Quoi ! tu regardes la paille dans l’œil de ton frère ; et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? Ou encore : Comment vas-tu dire à ton frère : “Laisse-moi enlever la paille de ton œil”, alors qu’il y a une poutre dans ton œil à toi ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère" (Mt 7,1). "Je ne suis pas venu juger le monde, mais le sauver" souligne encore Jésus dans l’évangile de saint Jean (Jn 12,44).
La tentation d’Eden
Cette tentation de décider par soi-même ce qui est bien et ce qui est mal est d’ailleurs au cœur du récit de la Genèse, à l’origine du premier péché. Car c’est de l’arbre de la connaissance du bien et du mal qu’Adam et Ève mangent le fruit que leur tend le serpent pour rompre l’alliance divine : "Tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin ; mais l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas ; car, le jour où tu en mangeras, tu mourras" (Gn 2,9). En accédant à cette connaissance, Adam et Eve accèdent à une forme d’autonomie morale, c'est-à-dire une volonté de décider eux-mêmes de ce qui est juste ou ne l’est pas sans faire appel à la sagesse de Dieu ni à la foi en leur Créateur.
Or, le jugement est ce qui peut mener à la vengeance, parce que l’on enferme l’autre dans sa faute et que, d’une manière ou d’une autre, on cherche à se faire justice soi-même en prenant la place qui revient au Seigneur. "Frères, cessez de dire du mal les uns des autres ; dire du mal de son frère ou juger son frère, c’est dire du mal de la Loi et juger la Loi, nous dit ainsi saint Jacques. Or, si tu juges la Loi, tu ne la pratiques pas, mais tu en es le juge. Un seul est à la fois législateur et juge, celui qui a le pouvoir de sauver et de perdre. Pour qui te prends-tu donc, toi qui juges ton prochain ?" (Jc 4, 11-12).