Le documentaire Mourir n’est pas tuer, réalisé par Géraud Burin des Roziers, est une enquête au cœur de la fin de vie. Quatorze interviews de médecins en soins palliatifs, philosophes, juristes, directeurs d'Ehpad et psychologues viennent éclairer la réalité de l’histoire singulière de chaque patient. Ces images font prendre conscience de l’impact qu’aurait une évolution législative sur les personnes vulnérables et leurs familles, ainsi que la remise en question de la médecine hippocratique pour l’ensemble de la société. Des projections sont proposées sur l’ensemble du territoire français au cours de « Soirées cinés-débats » avec le réalisateur et des spécialistes : une trentaine d’étapes sont prévues.
Aleteia : Votre société de production, Ligne de front, vient de réaliser un "film choc" sur l’accompagnement de la fin de vie alors que le gouvernement a ouvertement lancé une campagne de préparation des esprits à la légalisation de l’euthanasie. Pourquoi ce documentaire “Mourir n’est pas tuer” ?
Bernard de La Villardière : L’accompagnement de la fin de vie n’est pas une réalité nouvelle pour moi. Je l’ai déjà abordée, que ce soit dans Zone interdite ou dans Dossiers tabous. La vraie question, aujourd’hui, est celle du manque de moyens des soins palliatifs. Or les soins palliatifs sont la meilleure réponse que l’on puisse apporter à la fin de vie et ses problématiques, à l’angoisse des Français vis-à-vis de la souffrance : ce n’est pas la mort qui angoisse, c’est la souffrance. Pour connaître des médecins et des bénévoles qui travaillent ou qui s’investissent dans des structures de soins palliatifs, je sais que la demande d’euthanasie est extrêmement rare. Quand les Français sont interrogés sur la fin de vie, plus ils sont âgés, moins ils sont demandeurs d’une loi sur l’euthanasie. Les plus jeunes pour leur part ont du mal à se projeter, ils ont un avis théorique : quand on approche de la mort, on voit les choses différemment. Surtout, les Français sont très mal informés. Combien sont-ils à savoir ce qu’est une structure de soins palliatifs ?
L’écrasante majorité des professionnels de la fin de vie est totalement défavorable à une nouvelle loi sur la fin de vie, et ils ne pratiqueront pas ce genre de geste.
Enfin, dernier point sur ce sujet : j’ai été choqué par la manière dont le gouvernement procède. Des professionnels sont consultés, des médecins, mais sans entendre les milliers de praticiens des soins palliatifs dans les hôpitaux. L’écrasante majorité des professionnels de la fin de vie est totalement défavorable à une nouvelle loi sur la fin de vie, et ils ne pratiqueront pas ce genre de geste. Mais on ne les écoute pas. Ce documentaire se veut, lui, une immersion dans le monde des soins palliatifs et dans la réalité de l’accompagnement de la fin de vie.
Les soins palliatifs, est-ce que c’est pour vous un "nouveau territoire" ?
Un territoire à conquérir, oui, mais ce n’est pas un territoire nouveau. Cela fait des dizaines d’années que l’État devrait investir dans les soins palliatifs et ne le fait pas. Vingt-six départements, soit 25% du territoire, sont dépourvus de centres de soins palliatifs.
Vous donnez la parole à des juristes, des philosophes, des médecins hostiles à l’euthanasie, mais aussi à des médecins qui pratiquent l’euthanasie, en Belgique ou en Suisse. Comment avez-vous choisi vos témoins ?
Une partie de ce documentaire a été composée à partir d’archives de films que nous avions réalisé sur ce thème, notamment avec des tournages en Belgique et en Suisse auprès de praticiens qui continuent de s’exprimer dans le même sens, comme le docteur Yves de Locht à Bruxelles. Par ailleurs, les porte-parole militants du lobby pro-euthanasie ont accès à tous les médias : ce sont plutôt les accompagnants de la fin de vie que nous avons voulu rencontrer et faire parler, mais aussi des patients en fin de vie et leurs familles.
Dans un pays qui a sacralisé la vie, au point d’abolir la peine de mort, je trouve incroyable de vouloir donner aux médecins l’autorité de donner la mort.
Comment expliquez-vous cette volonté politique de légaliser l’euthanasie ?
Cette tendance des gouvernements successifs à vouloir légiférer en fonction de l’exception, en oubliant l’intérêt général, n’est pas acceptable. On légifère pour satisfaire des désirs particuliers, comme si l’on devait encadrer légalement les transgressions illégales de quelques-uns. Comme s’il fallait faire du désir de quelques-uns une norme générale. Dans un pays qui a sacralisé la vie, au point d’abolir la peine de mort, je trouve incroyable de vouloir donner aux médecins l’autorité de donner la mort. C’est la porte ouverte à toutes les dérives. Demain, en temps de rigueur budgétaire, devant un malade en état de stress, souffrant d’une maladie incurable, ne va-t-on pas, au lieu de l’écouter, de lui redonner un peu de joie de vivre, lui tenir un discours plus ou moins avoué : "Si tu veux en finir, on est là pour ça ?"
"Dès que l’on est entouré, on n’a plus envie de mourir" entend-on dans la conclusion du film. Vous le confirmez ?
J’ai une vision particulière de la mort : la mort, c’est une affaire collective. Ceux qui souffrent le plus, ce sont ceux qui restent. Mourir n’est pas compliqué, c’est le deuil qui est compliqué. La mort se vit à trois : celui ou celle qui va mourir, sa famille et le corps médical. C’est cette dimension humaine essentielle que l’on est en train de remettre en cause. Ne cherche-t-on pas à donner trop de puissance au médecin ? Or en effet, beaucoup de patients qui arrivent en soins palliatifs avec le désir de mourir changent d’avis, et éprouvent le besoin de vivre plus intensément leur fin de vie, en profitant de visites familiales ou amicales, de pouvoir dire au revoir. Les derniers moments, les derniers jours peuvent être heureux pour ceux qui partent et ceux qui restent. Ceux qui ont vécu de près la mort d’un proche le disent : ces moments ne se manquent pas.
Une question plus personnelle : vous avez révélé il y a deux ans souffrir d’un cancer. Cette maladie a-t-elle changé votre regard sur la souffrance et sur la vie ?
Sur la souffrance, non, parce que je suis plutôt endurant au mal, j’ai connu des douleurs assez rudes dans des contrées où personne ne pouvait m’aider ou me soulager. Sur la vie ? La médecine estime que je suis en survie, comme des dizaines de milliers de personnes en France qui vivent avec un cancer, mais il faut la vivre pleinement cette survie ! J’ai appris à apprivoiser la mort, alors qu’avant je cherchais plutôt à la chasser de mon esprit.
Les Français ont-ils besoin d’apprivoiser la mort ?
Oui, naturellement, sans se laisser intoxiquer par les biais du langage officiel. Il est invraisemblable que le président de la République reçoive Line Renaud à l’Élysée et déclare que son avis sur la mort est l’alpha et l’oméga de la pensée sur la mort, et que c’est à travers sa sensibilité et ses convictions que l’on va réglementer la fin de vie en France. Comment l’opinion d’une vedette peut-elle avoir l’exclusivité de la pensée sur ce qui est bon ou pas en matière de dignité humaine ? Est-ce le fait du prince ?
Pensez-vous que l’opinion peut évoluer sur la fin de vie ?
L’enjeu est certainement une meilleure information sur la réalité de l’accompagnement de la fin de vie. Même si la loi passe, il est probable qu’il y aura cependant peu et peut-être de moins en moins de médecins pour la pratiquer. C’est pour cela que je suis heureux de produire ce film, financé en partie par la Fondation Jérôme-Lejeune et par du crowdfounding. Le documentaire est distribué en province dans des salles de cinéma, suivi par des débats : je trouve cela bien qu’un film commence sa vie de cette manière.
Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.
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