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François face au syndrome du réformateur contrarié

Pope Francis during his weekly general audience September 28, 2022
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Michel Cool - publié le 18/03/23
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Dix ans après son élection au siège de Pierre, le pape François soulève autant d’enthousiasme que d’inquiétude : tiendra-t-il son cap ? Selon notre chroniqueur Michel Cool, il poursuit sa route, avec le sentiment d’une urgence, comme s’il renforçait sa volonté réformatrice dans l’adversité.

Au moment de son élection, en 2013, François avait soulevé autant d’enthousiasme que de panique. Pour les uns, ce premier pape latino-américain de l’histoire serait l’artisan d’une "révolution franciscaine" du catholicisme et de ses institutions : "Comme je voudrais une Église pauvre, pour les pauvres !" Pour les autres, le réformisme affiché du pontife argentin représentait un danger pour une Église menacée de dissolution dans une société occidentale laïque, relativiste et hédoniste. Principal opposant déclaré, le cardinal allemand Gerhard Muller assimile d’ailleurs son projet synodal à une forme de "protestantisation". En ce dixième anniversaire du pontificat, les commentaires reflètent en général une certaine circonspection. Les "pour" et les "contre" semblent rester sur leur faim. Pour des motifs très différents : les uns doutant de sa capacité réformatrice, les autres redoutant la pugnacité de son réformisme.

Le sentiment d’une urgence

Malgré l’usure des années et du pouvoir, le Pape semble ne plus envisager de prendre la même porte de sortie que son prédécesseur. Pourtant, il en avait souvent caressé l’idée dans ses interviews et ses confidences. Ce revirement est instrumentalisé par ses contempteurs qui le caricaturent en addict du pouvoir. Le pape jésuite de 86 ans semble n’en avoir cure. Avec une canne ou en fauteuil roulant, il continue sa route avec en ligne de mire le synode romain sur la synodalité, en 2023-2024 et l’Année sainte en 2025. Ce jubilé est un rendez-vous important pour lui : il coïncidera avec le 60e anniversaire de la clôture du concile Vatican II : or il en fait la clé de voûte de son pontificat ; et l’icône de sa vision ecclésiale pour le XXIe siècle. François poursuit donc sur sa lancée. Mais avec plus de poigne et parfois même de hargne qu’avant envers ses adversaires. Comme s’il était aiguisé par le sentiment d’une urgence. Comme s’il refusait opiniâtrement l’idée d’être un jour taxé de réformateur contrarié.

Cette volonté d’échapper au syndrome du réformateur contrarié, le pape François la partage avec d’autres dirigeants du monde, par exemple, avec Emmanuel Macron. Leur défi est considérable. Impossible à relever diront les plus sceptiques. En effet, les mentalités contemporaines sont sujettes à des mutations rapides et brutales, à des déroutements fréquents et à des réactions éruptives. Sans parler de leurs peurs irrationnelles. Elles baignent en plus dans un climat "politique" électrique, hystérisé par un système médiatique à la remorque de tous les conflits, contestations et anxiétés qui pointent. Le baromètre de notre histoire n’indique pas le beau fixe mais la tempête.

Notre histoire chaotique présente tous les symptômes de la frénésie apocalyptique qu’entraîne un changement de civilisation.

Cette météo est inadéquate avec l’esprit de conversation et la recherche du compromis qui caractérisent une vie démocratique ou une vie ecclésiale soutenues par la sagesse du bien commun. Notre histoire chaotique présente tous les symptômes de la frénésie apocalyptique qu’entraîne un changement de civilisation. Période défavorable aux réformateurs ! Car, en préconisant des changements d’habitudes, des autocritiques exigeantes et des évolutions incertaines, ils apparaissent pour leurs opinions publiques comme des facteurs aggravants de déstabilisation et de désarroi.

Un défaut d’impatience ?

Le pape François, théoricien de "la troisième guerre mondiale par morceaux" que, selon lui, nous sommes en train de vivre, sait fort bien tout cela. Les ennemis de sa ligne réformatrice, il les connaît par leurs noms. Il n’hésite d’ailleurs pas à les jeter en pâture au risque de les froisser et d’exacerber leur rogne et leur vindicte. Son discours sur les quinze maladies de la Curie romaine, du 22 décembre 2014, avait fait jubiler dans les chaumières. Mais cette tirade a aussi tailladé le climat de confiance qui régissait jusqu’alors les rapports d’un pape avec son administration. Que celle-ci s’évertue à traîner les pieds pour appliquer la nouvelle constitution apostolique promulguée en 2022, traduit le sentiment persistant qu’elle entretient d’avoir été caricaturée et humiliée à tort. Le pape François a d’incontestables qualités de proximité, de spontanéité et de franchise qui lui valent une sympathie mondiale extraordinaire. Mais il lui manque peut-être la diplomatie, la prudence et la patience qui avaient réussi à son inspirateur le pape Paul VI — un Italien expert des rouages du Vatican — pour réorganiser profondément la curie sans la prendre à rebrousse-poil, ni hypothéquer son ambitieux plan de réformes.

Le flambeau rallumé

Il est frappant que le pape François et le président Macron, tous deux estampillables réformateurs contrariés, soient critiqués pour leur césarisme et leur exercice solitaire du pouvoir. Leurs postures peuvent s’expliquer par leurs tempéraments, arrogants pour les uns, courageux pour les autres. La véhémence des adversités qu’ils affrontent les poussent probablement à affûter le tranchant de leur volonté réformatrice. Quitte à faire des hiatus entre la théorie et la pratique ! Ainsi, voit-on le pape, apôtre inlassable de la synodalité dans l’Église, s’emparer des rênes du diocèse de Rome comme aucun de ses prédécesseurs n’avait osé le faire... Le temps présent est rageur, rugueux et contrariant pour les réformateurs. S’agissant du pape François, on ne saurait quand même oublier que, malgré ses limites et ses faiblesses, il a rallumé un flambeau qui semblait s’éteindre : celui de l’optimisme chrétien dans une humanité fourbue d’inquiétudes.

Dans un livre paru en 2015, l’intellectuel italien et fondateur de la communauté Sant’ Egidio, Andrea Riccardi, estimait que si Paul VI était un homme de réforme, François est davantage un homme de processus : un défricheur qui a réussi la performance — impensable il y a dix ans — de rétablir le son entre l’Église catholique et le vaste monde.

[EN IMAGES] Les dix gestes du pape François qui éclairent son pontificat :

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