On se demande comment feraient les nigauds si le mot "systémique" n’existait pas. Pour donner du crédit aux noms qu’ils emploient, les politiques au verbe court et les militants pressés de terminer leur phrase sur les plateaux de télévision ont coutume de leur accoler l’adjectif "systémique". Systémique, cela fait à la fois savant et indigné. Les abus dans l’Église sont systémiques. Systémique, le racisme à l’école. Systémiques, les inégalités de genre. Systémique, la crise de l’hôpital. Un abus, c’est mal ; un abus systémique, c’est rédhibitoire ! On ne pardonne pas un abus systémique. Car derrière le mot systémique, se cache la volonté, vieille comme le monde, de régler son compte à tout ce qui ressemble à un système et de jeter le bébé avec l’eau du bain. Le système, voilà l’ennemi !
"Incontournable"
Que les élus, les journalistes, les opposants, tous les citoyens soient par nature des êtres systémiques, puisqu’ils expriment le système, ne pose pas problème à ceux qui dénoncent le mal "systémique". D’où parlent ces bavards ? Du système qui les façonne. Un esprit autodestructeur s’empare ainsi des nouveaux indignés. Cercle vicieux. Point de salut.
Naguère, l’adjectif dont les politiques abusaient pour faire sérieux était "incontournable". Il y a quarante ans rien n’était systémique, hormis les fongicides employés en agriculture, mais tout était "incontournable". Le qualificatif incontournable est né dans la bouche du Premier ministre Pierre Mauroy en 1981. Le chef du gouvernement de l’époque semblait découvrir que la réalité avait le mauvais goût d’être la réalité, c’est-à-dire d’être "incontournable". Il ne pouvait plus finir une phrase sans employer ce mot magique : incontournable. Ainsi de la rigueur budgétaire, des hausses d’impôts, des limitations de vitesses, des nationalisations ou du contrôle des changes : incontournables. Pas le choix. La fortune du mot incontournable fut immense ; il servit même à expliquer plus tard la fatalité de la première guerre du Golfe, puis il tomba dans l’oubli.
Nommer le mal
Revenons au "systémique", qui rend tant de services aujourd’hui à ceux qui n’ont pas le temps de réfléchir à ce qu’ils disent. La dernière trouvaille est à mettre au crédit de la porte-parole de l’association "Osez le féminisme" : elle vient de déclarer dans une émission de télévision que les féminicides sont "des faits systémiques".
Elle n’était pas la première à le dire. Mais elle a cru bon d’ajouter, pour faire bonne mesure, que c’est "notre culture judéo-chrétienne" qui "engendre les féminicides systémiques". S’agissant d’un drame aussi horrifiant, on ne risquera pas de plaisanterie. Mais nous pouvons rappeler l’incontournable réalité systémique : la vieille Europe judéo-chrétienne est, de très loin, le continent où le taux d’homicides conjugaux est le plus faible : 0,7 pour 100.000 habitants contre 0,9 en Asie, 1,7 sur le continent américain ou 3,1 en Afrique, selon un rapport de l’ONU.
Le péché est universel, la chute d’Adam est systémique, mais il existe des cultures qui protègent davantage les femmes, et il se trouve que ce sont les cultures chrétiennes.
Il faudrait déconstruire ce résultat pour le comprendre. D’où viennent de telles différences ? Vont-elles en s’accroissant ? Que nous enseignent-elles ? Ceci : que pour lutter contre les homicides, et contre les féminicides en particulier, nous devons d’abord être capables de nommer le mal. Le péché est universel, la chute d’Adam est systémique, mais il existe des cultures qui protègent davantage les femmes, et il se trouve que ce sont les cultures chrétiennes. La dignité de la femme est au cœur du message de l’Évangile. S’il y a quelque chose qui devient systémique dans notre beau pays, c’est la sottise.