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Faut-il mettre de côté sa foi pour entrer en politique ?

KATE-FORBES

Kate Forbes, secrétaire écossaise du cabinet chargée des Finances.

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Jean Duchesne - publié le 07/03/23
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C’est la question que pose le choix du prochain Premier ministre en Écosse, mais aussi l’ascension en politique de fils d’immigrés indiens et pakistanais dans les îles britanniques. L’essayiste Jean Duchesne s’interroge sur les contradictions qu’assument de nombreuses personnalités politiques au nom de leur appartenance religieuse.

On ne se passionne guère pour la vie politique en Écosse. C’est peut-être un tort, car c’est instructif. Certes, il est loin le temps où les Français trouvaient là-bas des alliés contre les Anglais, comme le raconte Quentin Durward de Walter Scott. Mais c’est bien fini cent ans plus tard, lorsque Marie Stuart, fille du roi d’Écosse mariée au jeune roi de France François II et vite veuve, doit retourner dans son pays et y perd son trône, avant que son fils devienne roi d’Angleterre et s’installe à Londres pour régner sur l’ensemble des îles britanniques.

Mais l’identité écossaise demeure, et elle est reconnue depuis 1998 par l’octroi d’un parlement propre qui contrôle un gouvernement administrant les affaires intérieures. Or le Parti national, vainqueur des élections locales en 2007, veut une indépendance complète, et c’est ce qui occasionne aujourd’hui des débats et polémiques qui débordent du cadre local et concernent (entre autres) la place des religions dans la vie publique.

Deux Premières ministres à bout de souffle !

Un référendum accordé en 2014 aux nationalistes est pour eux un échec : à plus de 55%, les Écossais préfèrent rester dans le Royaume-Uni. Alex Salmond (né en 1954), chef du parti indépendantiste, démissionne. Lui succède Nicola Sturgeon (née en 1970). Sa position est renforcée d’abord par le Brexit de 2016 (les Écossais votent pour rester en Europe), puis par une série de victoires électorales à domicile. Mais elle ne parvient pas à obtenir l’organisation d’un nouveau référendum et, s’avouant épuisée, elle décide de se retirer le 15 février 2023.

Il convient ici de relever que, quelques jours plus tôt, Jacinda Arden (née en 1980), énergique Première ministre travailliste de Nouvelle-Zélande depuis 2017, triomphalement réélue en 2020, avait déjà tiré sa révérence, reconnaissant "n’avoir plus assez d’énergie" pour poursuivre. Peut-être sous-estime-t-on trop les pressions qu’affrontent nos politiques ? Il pourrait y avoir dans ces renoncements une sagesse mêlant paradoxalement d’un côté lucidité sur soi-même et humble intuition de n’être pas indispensable, et de l’autre confiance que la vie peut garder un sens même en abandonnant une carrière politique brillamment entamée.

Burn-out et immigrés en politique

Le cas le plus net est sans doute Jacques Delors, renonçant à la présidentielle de 1995 alors qu’il était favori dans les sondages, mais conscient qu’il s’userait dans des divergences avec le parti (socialiste) qui l’investirait. Cet exemple suggère que le burn-out en politique n’affecte pas que des femmes. Jakob Elleman-Jensen (49 ans), ministre danois de la Défense, en a également été tout récemment victime. Bobby Jindal, d’une famille venue d’Inde aux États-Unis, devenu catholique, étoile montante du Parti républicain, a abandonné la politique à 45 ans en 2016, découragé par l’ascension de Donald Trump. 

En Écosse en tout cas, parmi les trois ministres qui briguent la succession de Nicola Sturgeon, on trouve deux femmes. Le troisième est un homme, fils né à Glasgow d’immigrés pakistanais. Ce n’est pas une exception : l’actuel Premier ministre du Royaume-Uni (Rishi Sunak, 42 ans, hindouiste) et le maire de Londres (Sadiq Khan, 52 ans, musulman) sont issus de la diaspora de feu l’Empire britannique. Il y a encore Leo Varadkar (53 ans), de père indien, Premier ministre irlandais et homosexuel déclaré, et Anas Sarwar (40 ans), de parents pakistanais, chef du principal parti (travailliste) d’opposition en Écosse. Ce sont là des échantillons éclatants d’assimilation réussie, dont les précédents ont été au XIXe siècle les succès des Rothschild (juifs ashkénazes) et de Benjamin Disraeli (sépharade baptisé, Premier ministre préféré de la reine Victoria)… 

Conformisme dans l’anticonformisme

En tout cas, la postulante qui suscite des polémiques aujourd’hui en Écosse est Kate Forbes (née en 1990). La raison n’est pas son jeune âge (elle s’est déjà fait respecter comme ministre des Finances, bien qu’elle soit mère d’une petite-fille d’un an et demi), mais ses positions non dissimulées sur des questions "sociétales" : elle est contre l’avortement, le mariage gay, les changements de "genre" et même le sexe préconjugal ! Ce conservatisme moral scandalise la bien-pensance contemporaine, où on l’estime incompatible avec un leadership national.

Ce qui motive Kate Forbes est son appartenance à l’Église libre d’Écosse, survivante d’une division survenue en 1843 dans l’Église nationale fondée du temps de Marie Stuart par John Knox, disciple de Jean Calvin. Les sécessionnistes entendaient protéger le spirituel contre les empiètements du temporel. Une réunification eut lieu en 1929, mais une petite minorité resta dissidente, en préservant un calvinisme rigoureux, alors que, comme la plupart des Églises protestantes "établies", celle d’Écosse se libéralisait avec la culture qui l’absorbait.

La religion entre parenthèses

Le barrage contre Kate Forbes illustre que ce libéralisme tend à présent à s’inverser en son contraire : une doxa qui interdit l’expression publique de toute autre opinion. Nul ne conteste à la jeune femme ni ses compétences (elle a étudié à Cambridge), ni son nationalisme (elle parle couramment et promeut le gaélique écossais), ni même son droit d’avoir les croyances qu’elle veut et la morale personnelle qui en découle, pourvu tout cela soit passé sous silence parce que désormais offensant et donc à refouler strictement dans la sphère inviolable mais hermétique du privé. Il faudrait que sa foi, bien qu’elle inspire son engagement (son Église est farouchement patriotique), n’influence visiblement en rien son service de la collectivité. 

Les deux autres candidats au gouvernement écossais esquivent la question religieuse. Ash Regan (48 ans, divorcée) n’en parle pas. Mais elle inquiète aussi, car elle s’est déclarée hostile aux "transidentités genrées" sur demande. De plus, les mesures pro-business qu’elle propose pour rendre économiquement viable l’indépendance consonnent mal avec les instincts plus "sociaux" de son parti. Pour sa part, Humza Yousaf (37 ans), adoubé par Nicola Sturgeon, est critiqué pour sa gestion de la pandémie en tant que ministre de la Santé. Il ne se cache pas d’être musulman pratiquant, mais assure qu’il gouvernerait comme s’il ne l’était pas.

Ni imposer, ni se taire

Kate Forbes se défend de la même manière. Elle se proclame fermement démocrate, respectueuse des lois votées, et donne en modèle la chancelière allemande Angela Merkel, autre chrétienne "évangélique" : celle-ci, défavorable par conviction au mariage "pour tous", a permis en 2017 qu’il soit adopté en laissant les députés de son parti se prononcer en conscience, sachant bien que tous ne partageaient pas ses convictions.

Une réponse pourrait être d’abord l’absence, dans le protestantisme, l’islam et aussi le judaïsme, d’une autorité suprême tirant du dogme des normes éthiques universelles pour toute circonstance.

Il est permis de s’interroger sur les contradictions qu’assument Mmes Merkel et Forbes, ainsi que M. Yousaf. 

Une réponse pourrait être d’abord l’absence, dans le protestantisme, l’islam et aussi le judaïsme, d’une autorité suprême tirant du dogme des normes éthiques universelles pour toute circonstance. Mais il y a surtout le repli communautaire de toutes les minorités religieuses (y compris les Églises réformées non étatisées et les musulmans en Occident). Si elles ne tournent pas à la secte, leurs membres peuvent fort bien s’investir individuellement dans le monde profane.

Une telle dissociation est en principe exclue pour les catholiques. Il ne saurait être pour eux question ni d’imposer ni de taire dans la cité leurs croyances et leur morale. Il leur revient d’en témoigner et d’argumenter en participant ouvertement et inlassablement aux débats. C’est ce qu’ils font aujourd’hui sur les problèmes liés à la sexualité ou à la fin de vie, car c’est ce qu’exigent ensemble la foi, qui sans cette forme concrète d’amour du prochain serait vaine, et la démocratie, qui n’autorise pas la majorité du moment à se faire dictatoriale.

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