Par un rescrit en date du 21 février, le pape François a précisé les normes générales établies par le motu proprio Traditionis custodes demandant l’autorisation au Saint-Siège pour pouvoir célébrer la messe tridentine. De nombreux catholiques y voient un durcissement injuste, et une liberté retirée aux évêques d’accorder des dispenses en leur faveur. Mais les mesures prises ne s’appliquent pas à tout le monde. Comment s’y retrouver ? Les explications de l’historien Yves Chiron, auteur d’une Histoire des traditionalistes (Tallandier).
Aleteia : Les fidèles attachés à la messe tridentine et à l’orthodoxie de la foi sont-ils fondés à se plaindre de ce rescrit ?
Yves Chiron : Depuis un an et demi, les décisions du Saint-Siège sur la liturgie traditionnelle se succèdent, tout en étant parfois contradictoires. Depuis le motu proprio Traditionis custodes (16 juillet 2021), il y a eu des Responsa de de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements (4 décembre 2021) qui a renforcé les restrictions, puis un décret du pape François relatif à la Fraternité Saint-Pierre (11 février 2022) et enfin un rescrit du cardinal Roche, préfet du Dicastère pour le culte divin et la discipline des sacrements (en date du 21 février 2023). Ces documents peuvent apparaître comme contradictoires. Les Responsa et le rescrit renforcent les restrictions relatives à la célébration de la liturgie traditionnelle et renforcent le contrôle du Saint-Siège, tandis que le décret du pape François exempte la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre (FSSP) de ces restrictions. Le Pape avait déjà, dans le passé, accordé aux prêtres de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX) la capacité d’entendre les confessions et de célébrer les mariages, dans les deux cas selon les rituels traditionnels.
On connaît aussi la réponse qu’il avait fait à Mgr Aupetit, alors archevêque de Paris, lors d’une visite ad limina après la parution du motu proprio : "C’est toi l’évêque ; tu fais ce que tu veux." Alors que le récent rescrit limite les autorisations au Saint-Siège. Concrètement, les évêques de France sont perplexes face à la conduite à tenir et dans les diocèses, la situation des fidèles attachés à la liturgie traditionnelle va dépendre de la bienveillance et des dispositions de l’évêque. Finalement le clergé séculier attaché à la liturgie traditionnelle est dans une situation plus incertaine que les religieux attachés à cette liturgie. Le décret accordé à la Fraternité Saint-Pierre (FSSP) semble avoir fait jurisprudence pour les autres instituts traditionnels et les monastères attachés à la liturgie traditionnelle. Pour eux rien n’a changé, ni pour la célébration de la liturgie ni pour les ordinations de prêtres.
La place laissée aux instituts traditionnels ou aux prêtres attachés à la liturgie traditionnelle est très différente d’un diocèse à l’autre, et peut changer avec la nomination d’un nouvel évêque.
Le dynamisme des communautés et des paroisses traditionalistes est souvent mal apprécié. Quelle est la fécondité de ces communautés ?
La Fraternité Saint-Pierre (FSSP), qui compte quelque 330 prêtres, est présente dans une quinzaine de pays dans le monde et dessert quelque 260 églises et chapelles. La Fraternité Saint-Pie X (FSSPX) compte plus de membres — quelque 680 prêtres — mais n’a toujours pas de statut canonique. Il y a par ailleurs une dizaine d’instituts traditionnels (Fraternité Saint-Vincent Ferrier, Institut du Christ-Roi, Institut du Bon Pasteur, etc.) et plusieurs abbayes (les abbayes Sainte-Madeleine et Notre-Dame de l’Annonciation au Barroux, l’Abbaye Notre-Dame à Fontgombault, l’Abbaye Notre-Dame de Randol, etc.) qui sont tous prospères et attirent des vocations.
L’Église de France peut-elle se passer de sa sensibilité traditionnelle ?
Le traditionalisme n’est pas un parti et d’ailleurs beaucoup des fraternités et communautés citées ci-dessus récusent ce qualificatif. Si l’on parle de "sensibilité traditionnelle" au sens large, le spectre peut être élargi. La Communauté Saint-Martin, par exemple, qui possède le séminaire le plus important de France, est d’esprit traditionnel mais n’est en rien traditionaliste puisque ses prêtres ne célèbrent pas la liturgie traditionnelle.
Concrètement, selon les diocèses, la place laissée aux instituts traditionnels ou aux prêtres attachés à la liturgie traditionnelle est très différente d’un diocèse à l’autre, et peut changer avec la nomination d’un nouvel évêque. Le diocèse de Toulon-Fréjus, qui a été et reste le diocèse le plus accueillant aux prêtres traditionnels et aux nouvelles communautés, est l’objet depuis le 13 février d’une visite apostolique qui porte en partie sur cet accueil si large. Inversement, dans le diocèse voisin de Marseille, c’est dans la discrétion que les évêques successifs, y compris le cardinal Aveline, continuent à autoriser la célébration de la liturgie traditionnelle dans quatre ou cinq lieux de culte.
Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.
Pratique :