Ce 22 février, Mercredi des Cendres, le pape François quittera l'église bénédictine de Saint-Anselme, sur la colline de l'Aventin, peu avant que le soir ne tombe sur la Ville Éternelle. Il cheminera en procession sous les pins parasols, au rythme de la litanie des saints, avant d’atteindre, quelques instants plus tard, l’antique basilique Sainte-Sabine. Ce trajet, effectué par les évêques de Rome chaque mercredi des Cendres depuis des siècles, lance la période du Carême mais constitue aussi la première "étape" des stations de Carême de la ville de Rome. Une tradition qui remonte aux premiers temps de l’Église.
En effet, si l'introduction canonique de la tradition est à mettre au crédit du pape saint Grégoire le Grand (540-604), l'origine de la messe stationnaire est déjà mentionnée par Tertullien (c.150-220) dans son De Oratione. Le théologien des premiers temps compare cette forme de messe à la veille effectuée par un simple militaire à l'entrée du camp :
Si la station a emprunté son nom aux usages militaires, "car nous sommes la milice de Dieu", n'est-il pas vrai que dans le camp ni la tristesse ni la joie n'empêchent un soldat de faire sa station? Joyeux, il remplira son devoir plus volontiers; triste, il n'en montrera que plus de vigilance.
Messe solennelle et festive attachée à la seule personne du Pape à ses débuts, cette célébration du mercredi et du vendredi prévoyant la présence de prêtres, de diacres et d'évêques demande aux officiants de se tenir debout – "stationes fieri" – jusqu'à l'heure de sexte (sixième heure après le point du jour). Associé à partir du Ve siècle à la période du Carême, la tradition évolue et demande une messe dans chacune des basiliques "stationnaires" pendant les 40 jours qui précèdent Pâques et la semaine qui suit la résurrection du Christ. À l'exception de Saint-Jean-de-Latran, chacune des basiliques rejointe pendant le Carême est dédiée à un martyr de l'Église.
Un calendrier détaillé
Traditionnellement, le Mercredi des Cendres est ainsi célébré à Sainte-Sabine, sur l'Aventin. Le lendemain, c'est à quelques centaines de mètres, dans la basilique Saint Georges-de-Vélabre, qu'a lieu la station. Le vendredi, elle a lieu à Saints-Jean-et-Paul, et ainsi de suite, chaque jour amenant sa basilique (et Rome en recèle un grand nombre !). À noter que le Dimanche des Rameaux est célébré dans la basilique majeure Saint-Jean-de-Latran, tout comme le Jeudi Saint.
La station du Vendredi Saint est logiquement célébrée dans la basilique Sainte-Croix de Jérusalem, tandis que celle de Pâques se tient à Sainte-Marie Majeure. Les stations se poursuivent encore une semaine après Pâques et s'achèvent le dimanche suivant en la basilique Saint-Pancrace. La liste complète des basiliques peut être consultée ici.
Les stations parisiennes
Les stations de Carême ont connu une version parisienne, remontant au Ve siècle elle-aussi, mais ne comportait que les lundis, mercredis et vendredis de Carême. L'Église stationnaire était alors rejointe en partant en procession à partir de Notre-Dame de Paris. Malheureusement, cette belle tradition a disparu, la plupart des églises stationnaires ayant été détruites soit pendant la Révolution soit pendant les grands travaux de modernisation du baron Haussmann. Ne restent aujourd'hui que deux de ces églises : la paroisse Saint-Merri et celle de Saint-Martin-des-Champs.
À Rome, le rite des stations de Carême continue encore aujourd’hui, proposant un voyage dans le temps, témoin d’une présence encore bien vivante de l’héritage des martyrs de la cité. Ils forment un cortège de martyrs d'une Église des origines : Anastasie, Étienne, Prisca, Apollinaire, Pudentielle, Praxède, Vitale ou Balbine… Leurs martyrs, souvent oubliés, aident pourtant encore les pèlerins et paroissiens romains à cheminer vers le sacrifice qui leur donne sens, celui effectué par Jésus au terme de sa passion à Pâques.